On est animé par une double conviction : la première est qu'il existe des hommes totalement coupable, c'est à dire des hommes totalement responsables de leurs actes; et la deuxième est qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui doit mourir. Eh bien, arrivé à ce stade de ma vie ces deux affirmations me paraissent erronées. - Discours pour l'abolition de la peine de mort, Robert Badinter
Regarder ce film au lendemain de la panthéonisation de Robert Badinter ne peut que renforcer le schéma mentale dans lequel le film sera lu, mais il est clair que l'on ne peut pas ne pas faire de parallèles. Car oui il est question de la peine de mort. Une peine de mort où l'on ne peut que se sentir coupable d'être le bourreau passif.
On suit un âne tout au long de sa vie d'âne. Une vie non-épanouie. Du moins, une vie qui chaque fois dont il semble apprécier son existence, l'humain lui fait découvrir des nouvelles facettes de son horreur. Ca commence par la violence au travail de laquelle il croit être sauvé, puis la violence émotionnelle de l'abandon. On se dit que c'est bon, ce pauvre âne a déjà assez souffert pour un âne, on ne pourra aller plus loin. Mais malheureusement la réalité est là, et dehors l'insécurité nous guette (dans le fond les fachos doivent bien aimé ce film puisque la morale est que tout est violence).
Battue et laissé pour mort par des hooligans incapable de dépasser l'âge mentale d'un enfant de 3ans après avoir perdu sa partie de baballe, découverte de l'assassinat prémédité d'animaux en pleine nature pour régulation, passage dans une ferme en cage de renard pour leur fourrure avant de terminé vendue pour être transformé en salami. Toute une violence qui ne peut pas nous laisser indifférent.
Une violence qui se construit en suivant la logique de Claude Lanzmann qu'on ne peut et ne doit pas montrer l'horreur nazi mais seulement la laisser s'imaginer. On a ici tout ce qui nous faut pour passer un réel moment affreux : cris d'animaux, caméra à l'épaule reprenant la vision de l'animal, plan serré, visage d'animaux apeurés. Après, notre cerveau de migrant woke vegan transgenre fait le travail.
Ce serait hypocrite de dire que mon mode de consommation va changer suite à ce film, mais il est clair que ma vision de l'animale que l'on envoie à la mort sans penser à toutes ses expériences, ses voyages, ses souffrances et ses plaisirs ne peut que croire que l'on ne fait que pourrir tout ce que l'on touche.
Les hommes aussi sécrètent de l'inhumain. Ce malaise devant l'inhumanité de l'homme même, cette incalculable chute devant l'image de ce que nous sommes, cette nausée, c'est aussi l'absurde. - Le mythe de Sisyphe, Camus
Un personnage aborde l'absurde de la chose. "Mais pourquoi ne pas arrêter ses souffrances maintenant ?". Mais pourquoi ? se dit tout bon spectateur. Car l'on est qu'au milieu du film et euthanasier un pauvre animal ne se fait pas. Reposons la même question après la mise en perspective de ce qu'il a vécu. Continuer pour au final être abattu sans considération après une longue marche de la mort conscient de son destin.
Quand on sait que la fin est là, ce qui compte c'est de sauter ou alors prendre réaliser l'illusion de liberté dont on vivait et conscient que l'on va s'abîmer dans une certitude sans fond incapable de discerner ce qui est une bonne d'une mauvaise expérience pour aboutir avant l'impacte du grand saut : Eo a-t-il vécu ? Vivrais-je autant que Eo ?