« je ne suis qu'un des peignoirs du Maître qu'il peut porter ou retirer »

Au début du 20e siècle, en Chine, dans un palais somptueux, un homme riche règne en maître sur sa maison et ses quatre épouses. Toute la maisonnée vit à son rythme, et au rythme du choix de celle qui passera la nuit avec lui, dans un ensemble de rites et de codes rigides : lanternes allumées devant la maison de l'élue, massage de ses pieds avant l'arrivée du Maître. Pour des femmes qui n'ont rien à faire de leur journée et dont le seul événement majeur de leur quotidien est de passer la nuit avec le Maître autant dire que l'horizon est très réduit et qu'il faut bien trouver à s'occuper… Et pour cela que reste-t-il sinon la jalousie et tous les subterfuges possibles pour attirer le Maître à soi de préférence aux autres, d'autant qu'être l'élue du soir comporte des avantages comme celui de choisir le menu !


Cet homme autour duquel tout tourne n'est vu que de loin, de dos ou derrière un voilage, ce qui rend sa présence encore plus oppressante. Qu'il soit là ou non, il est toujours présent, il occupe les pensées des habitants du lieu.


Zhāng Yì-Móu est un maître de l'esthétique et il sait rendre à travers les décors et les plans toute une atmosphère psychologique. Cette maison somptueuse est le témoin de cette représentation oppressante à laquelle chacun des habitants est soumis. Un lieu, certes superbe, mais sévère, sans âme, où les personnes ne sont qu'un élément prenant place dans ce décor sans vie. Ces femmes sont chosifiées. C'est à travers Songlian, jeune fille de 19 ans et nouvelle épouse, que nous découvrons ce palais, ses codes, son inhumanité. Celle-ci exprime avec lucidité et froideur : « je ne suis qu'un des peignoirs du Maître qu'il peut porter ou retirer ». Comme toutes les autres, elle a perdu son prénom, elle n'est plus désignée que par son rang de « quatrième épouse ».


Épouses et Concubines est un film glaçant par son histoire, ses personnages haineux, à la fois victimes et bourreaux, prisonniers de leur situation. Zhāng Yì-Móu traite cette histoire avec sa marque propre. Ce réalisateur s'exprime avec les couleurs, ici, il raconte son histoire avec une prédominance du rouge. Plus tard il racontera Le Secret des poignards volants avec des teintes vertes et La Cité interdite avec des teintes dorées. Il donne ainsi une personnalité unique à chacun de ses films. Le rouge, qui domine dans Épouses et Concubines est la couleur privilégiée de la Chine pour exprimer le bonheur et la chance et elle est également la couleur réservée à la famille impériale et aux nobles. Sa présence continue dans les plans vient dénoncer l'hypocrisie de cet univers qui plonge bien au contraire ceux qui y vivent dans la haine, la mort ou la folie.


Un film décapant !

Créée

le 2 juin 2023

Critique lue 137 fois

11 j'aime

16 commentaires

abscondita

Écrit par

Critique lue 137 fois

11
16

D'autres avis sur Épouses et Concubines

Épouses et Concubines
eloch
10

La loi du désir

Il y a tout dans le premier plan serré sur le visage de Songlian (superbe Gong Li): les larmes et la détermination. Mais surtout: la fragilité et la force. Tout ce qui va ensuite faire d'elle la...

le 28 oct. 2013

22 j'aime

5

Épouses et Concubines
-Ether
9

En rouge et noir

Epouses et concubines est un film à la symbolique forte, bi-chromé et s'appréhende comme une pièce de théâtre au dénouement que l'on présuppose hautement dramatique par avance. Le film raconte...

le 10 avr. 2015

15 j'aime

1

Épouses et Concubines
Missdynamite
9

Couloirs et Couleurs

Epouses et Concubines (1991) est le film qui donna une envergure internationale au réalisateur Zhang Yimou - celui-là même qui a orchestré les cérémonies d'ouverture et de clôture des J.O. de Pékin...

le 18 juin 2010

15 j'aime

6

Du même critique

La Leçon de piano
abscondita
3

Histoire d'un chantage sexuel ...

J’ai du mal à comprendre comment ce film peut être si bien noté et a pu recevoir autant de récompenses ! C’est assez rare, mais dans ce cas précis je me trouve décalée par rapport à la majorité...

le 12 janv. 2021

56 j'aime

20

Le Dictateur
abscondita
10

Critique de Le Dictateur par abscondita

Chaplin a été très vite conscient du danger représenté par Hitler et l’idéologie nazie. Il a été l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme. Il commence à travailler sur le film dès 1937. Durant...

le 23 avr. 2022

33 j'aime

22

Blade Runner
abscondita
10

« Time to die »

Blade Runner, c’est d’abord un chef d’œuvre visuel renforcé par l’accompagnement musical mélancolique du regretté Vangelis, les sons lancinants et les moments de pur silence. C’est une œuvre qui se...

le 15 janv. 2024

32 j'aime

19