"On a décidé de profiter de la vie tant qu’il était temps"

Et la vie continue fait partie de la trilogie de Koker inaugurée par Où est la maison de mon ami ? (1987). Il est suivi de Au travers de oliviers (1994). Il se situe à la lisière de la fiction et du documentaire.


En 1987, Abbas Kiarostami réalisait le film : Où est la maison de mon ami ? En 1990 avait lieu un terrible tremblement de terre. Le village de Koker où le film avait été tourné faisait partie de la région touchée. Le réalisateur fictif se met alors en route, avec son fils Pouya, pour voir si les acteurs des deux amis du film sont toujours en vie.


Un film très aride, à l’image des paysages iraniens et de ses villages dévastés traversés par la voiture. Film aride car il se passe vraiment peu de choses. Nous suivons cet homme, sa voiture et nous voyons les décombres des maisons, les gens s’affairer à déblayer et simplement à continuer leur vie. De nouveau, comme le premier volet de la trilogie il s’agit d’une quête, d’une recherche. Mais alors que dans le premier film, Babek Ahmadpour incarnait Ahmed, l’enfant qui cherchait, cette fois-ci il est celui qui est cherché. Alors que dans le premier film, un ami cherchait son ami pour lui venir en aide, ici c’est un réalisateur qui cherche ses acteurs simplement parce qu’il se soucie d'eux. Une quête qui fait honneur au réalisateur, montrant que les liens tissés vont au delà du simple professionnalisme. Comme Ahmed, le réalisateur rencontre peu de personnes capables de le renseigner, les informations qu’il reçoit sont floues et il va de droite et de gauche tentant de rejoindre son but.


Le plus touchant sont les personnes rencontrées qui se montrent dignes dans leur souffrance, qui évoquent les morts dans leur famille et les dégâts matériels sans s’apitoyer sur elles-mêmes. Ce qui est magnifique aussi c’est la capacité que ces gens ont à rebondir : comme ce jeune couple de fiancés qui décident de se marier malgré tout bien que 65 personnes de leurs familles respectives soient mortes; ou bien ces personnes de toutes générations qui se passionnent pour le match de la coupe du monde de football, Brésil / Écosse, qui se déroule au même moment.


Le film est ponctué de réflexions philosophiques sur la vie et sur la mort. Philosophie qui n’a rien à voir avec un sujet de dissertation ou une œuvre de bureau. Elle vient de l’expérience tragique qui lui confère le sceau de l’authenticité.
Ainsi le jeune marié explique :



Les morts ne savaient pas qu’ils allaient mourir. On a décidé de profiter de la vie tant qu’il était temps. On mourra peut-être la prochaine fois.



Et encore ce dialogue entre le réalisateur et le jeune homme qui installe l’antenne pour diffuser le match :




  • vous croyez que c’est convenable de regarder la télé des jours pareils ?

  • En vérité, je suis moi-même en deuil. J’ai perdu ma sœur et trois cousins. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? La coupe c’est tous les 4 ans. Faut pas la rater. La vie continue.



Ces paroles témoignent non d’une résignation insensible, mais d’une volonté plus forte que tout de laisser la première place à la vie, celle qui existe encore.


Et enfin la philosophie enfantine, pleine de bon sens, du petit Pouya parlant avec une mère qui a perdu sa fille :




  • la mère : ma fille qui était chez mes parents est morte. C’est la volonté de Dieu.

  • Pouya : Dieu n’aime pas tuer ses enfants.

  • Si ce n’est pas lui, c’est qui alors ?

  • C’est le tremblement de terre. (…) Ta fille a eu de la chance de mourir. Elle n’est plus obligée de faire ses devoirs.



Et la vie continue s’intéresse avant tout aux gens rencontrés, au chemin, plus qu’au but. Quand la voiture approche enfin de Koker nous la voyons peiner à monter les pentes raides pour atteindre le haut de la colline. Le spectateur regarde la scène de loin, comme du haut d’une autre colline, la voiture est perdue au milieu d’un paysage aride, roulant en zig zag le long des sentiers puis elle disparaît à nos yeux, comme pour illustrer le titre du film en nous suggérant que la vie continue dans la réalité et non dans le film. Il nous renvoie ainsi à nos vies.


Si le premier film avait créé en moi l’intérêt pour la quête d’Ahmed et son drame d’enfant, celui-ci a davantage peiné à me rejoindre, je me sentais moins complice de cette quête, mais j’ai été rejointe par ces gens sinistrés et leur courage.

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le 20 avr. 2022

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abscondita

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