Un film qui s'ouvre sur la marche étrange de femmes en noir, voilées ou non avec une voix off (en VO s'il vous plait, c'est mieux) qui nous présente les futures images à venir comme une longue histoire de femmes...

Les histoires avec des femmes, bien sur, il y en a pas mal dans le cinéma actuellement comme dans le passé (peut-être moins souvent). Comme c'est un film libanais qui parle de femmes, on pense à l'ailleurs, , l'Iran pourquoi pas, et à "Une séparation", sortie dans l'année et qui raconte aussi plus ou moins une histoire de femmes, mais on est loin du registre plus dur que ce film développait.

Ici, au contraire, bien que le sujet soit assez lourd à porter, les guerres de religions, la légèreté se fait sentir (à part une scène de mère éplorée peut-être un peu trop poussée mais qui reste une infime goutte d'eau dans un film d'une incroyable justesse pour gérer l'émotionnel).

D'abord, cette marche de femmes est assez vite décalée, elle fait presque sourire mais on ne sait pas trop dans quel univers on met les pieds, la bande annonce nous avait presque volontairement menée sur une fausse piste. Ces femmes en tout cas entament une chorégraphie mais le plus important à retenir c'est l'effet de cohésion qui ressort de l'ensemble de cette marche qui s'entame. En effet, c'est le point d'orgue du film. En fait, d'entrée le film est présenté comme un "conte", une vieille histoire d'un village resté en paix malgré les conflits le menaçant, des histoires comme celles qu'on lit au petites filles (ou aussi aux petits garçons, ne véhiculons pas de clichés) le soir avant de s'endormir. D'autant plus que dans cette histoire il y a comme une "princesse", bref au début on semble plus suivre la trajectoire d'une femme (celle de l'affiche), qui organise des travaux dans lequel un beau jeune homme met tout son coeur, non pas par souci de minutie, parce-qu'il imagine déjà, en chanson (passage assez « niais » du film mais à la fois drôle et surprenant) la jeune femme-mère (elle a déjà un enfant dont le père semble bien loin maintenant, on en saura pas plus, on imagine beaucoup) dans ses bras.

Le ton du film est donc donné, c'est l'histoire d'un village, d'une cohésion, ils se réunissent tous autour de la télévision un soir, autour d'une fausse révélation de la Vierge dans une église également. Mais très vite, une tension semble s'élever, une rumeur à réveiller les morts ou plutôt les femmes, la nuit, qui affrontent leur peur des loups pour détruire ce que les hommes avaient mis tant de temps à se procurer, la télévision. Une télévision qui, au lieu d'apporter un peu de convivialité au sein du village, semble être pour ces femmes l'objet de toutes les tensions.

On comprend vite que les hommes, ceux hors du village, se battent pour leur religion, une guerre sans fin qui dure depuis toujours et que ce village semble avoir apaisée mais on se rend vite compte que cet apaisement ne tient qu'à un fil, il suffit de quelques chèvres dans une mosquée et d'une croix cassée par mégarde dans une église pour que tout s’enflamme.

La mort cependant viendra du dehors, elle sera cachée car la vengeance est dans ce cas le pire des remèdes, les oreillons feront donc l'affaire. Dores et déjà la princesse s'est transformée en combattante, rejetant le beau prince du début, prenant son enfant dans ses bras, elle se sent déjà prête à tout, avec les autres pour faire fuir la menace, repousser la rumeur, faire revenir leurs hommes au calme. D'autres femmes viendront les aider, arrivées comme du bout du monde, elles auront pour un moment un effet catalyseur pour les tensions ce qui ne suffit cependant pas à tenir les hommes loin de leurs armes et de leur rancoeur religieuse.

Dans ce village, où église et mosquée semblent pourtant cohabiter, où les deux chefs de file de la foi quelle soit chrétienne ou musulmane appellent ensemble à l'apaisement, cette religion unissant les hommes finie par les dessouder et dont même le maire, unité du village semble avoir abandonné le combat, les femmes prennent les choses en main.

Comment ? Comme elles savent le mieux le faire en faisant illusion, le tournant de l'histoire, la maestria engagée par ses femmes résonnent assez fortement comme un écho à la littérature antique où déjà un homme avait compris le pouvoir des femmes, une histoire antique où les femmes faisaient grève de leur sexualité pour obliger les hommes à faire la paix d'une guerre qui les endeuillait beaucoup trop, refusant de passer leur vie à souffrir, elles avaient sues combattre leurs hommes sur leur propre terrain, les obligeant à s'apercevoir que toute une vie les attendait. Ici, le tour de force de ces femmes est encore plus beau, toujours traité avec une légèreté jamais malsaine, de belles images et surtout de magistrales interprétations.

Montrant l'absurdité d'un combat, elles renforcent du même coup la solidité et la grandeur du leur. Tout commence près d'un cimetière, tout se termine près du même cimetière, entre les deux, les femmes auront été forcées de revêtir le noir mais cette fois la douleur s'apaise, elle est sûrement la dernière de ce type.

Un hommage merveilleux au femmes d'abord, bien trop souvent stigmatisé par les clichés sur l'Iran, un merveilleux hymne à la paix, qui malgré son caractère presque utopique donne envie d'y croire un peu. Un de ces rares films d'où on ressort avec l'envie de démarrer mille projets mais surtout avec l'impression véritable que si l'on est perdu, il y aura toujours un chemin vers lequel aller, celui qui mène aux rires et au partage comme sont si capables de le faire ces hommes, quand on les pousse un peu (la plus réussie des scènes de ce film, celle de la soirée des danseuses).

On s'arrête donc un temps dans ce conte où pour une fois seuls les êtres humains en sont les héros, ils sont leur propre élément déclencheur, leur propre menace et seront finalement leur propre élément de résolution. Un conte aux allures modernes déjà rêvé dans l'antiquité qui, on l'espère, a des allures d'avenir...
eloch

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