Stanley Kubrick n'est plus, et il laisse derrière lui un ultime film, Eyes Wide Shut, qui sortira peu de temps après son décès. Il s'est enfermé plus d'une année avec ses deux comédiens principaux à qui il va faire vivre les tourments du couple et un enfer psychologique.


L'angoisse et la paranoïa vont suivre Bill durant la majeure partie de cette aventure, il y trouvera un monde dont il ne connaissait pas l'existence, un monde sordide où s'entremêlent des fantasmes, des cauchemars et la recherche de pulsions enfouies et sexuelles. Sexuel sans être sensuel, c'est ce qui marque dans Eyes Wide Shut, Kubrick a beau filmer (merveilleusement) les corps nus, ce n'est pas l'attirance qui domine ici, si ce n'est Nicole Kidman, de dos, en début de film, mais bien la vengeance et le traumatisme (voire le grotesque, comme en témoigne la boutique de costumes), Bill se perd dans la nuit sexuelle new yorkaise, non pas pour le plaisir, mais bien pour se venger d'un fantasme puis d'un rêve de sa femme.


C'est ce qui va le perdre, dans un premier temps, et c'est sur ça que Kubrick axe son film, et met en scène une atmosphère prenante d'un bout à l'autre, de plus en plus parano, parfois glauque, et même fascinante, les deux en même temps. La tension ne fait que s'accentuer plus Bill va s'aventurer dans les mœurs inconnues pour lui, il va tomber de haut de sa petite vie bourgeoise, et son obsession pour les pensées de sa femme est totalement retranscrite par un cinéaste qui ne lâche pas son spectateur. Il le met à la place du protagoniste, avec tout un tourbillon de sensations allant avec (angoisse, curiosité, désirs malsains ...). La mort pèse aussi sur le récit, un parfum funèbre où le destin des personnages semble leur échapper.


Cette aventure permet, aussi, à Kubrick d'évoquer la tournure des mœurs, les mariages qui s'effritent, la drogue qui libère/emprisonne les esprits, l'idée (hypocrite ici) de la fidélité, l'amour ou ce qu'il en reste ou même les sociétés secrètes qui ont leur propre loi pour se libérer de l'oppressant et cadenassé monde extérieur. Il dirige son scénario d'une main de maître, il nous emmène là où il veut, au côté de Bill et emprisonne son spectateur dans cet esprit torturé.


Kubrick alterne entre photographie sombre, pour bien capter l'ambiance nocturne new yorkaise, et plus colorée, notamment pour les intérieurs chauds où les corps et les esprits ne font plus qu'un. Il prend son temps pour développer son récit, nous faire découvrir le monde d'apparence parfait de Bill et nous immerger au cœur de son cerveau. La bande originale participe à l'atmosphère, difficile d'oublier les notes de pianos aussi fascinantes qu'angoissantes, tandis qu'il soigne ses cadrages, ses plans (comme toujours) et dirige (ou torture selon ce que l'on sait du tournage !) brillamment les deux jeunes premiers d'Hollywood que sont Tom Cruise et Nicole Kidman, en couple à l'écran comme à la ville.


Pour son chant du cygne, Stanley Kubrick met en scène avec Eyes Wide Shut une œuvre obsessionnelle sur le couple, les obsessions, les apparences ou le désir, avec une ambiance sombre, parfois même glauque tout en restant fascinante et particulièrement immersive. Enfin, il ne laisse jamais indifférent, et surtout pas pour cette dernière, étant même encore capable de prendre aux tripes.

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le 30 mars 2022

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Docteur_Jivago

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