Dans The Trap, diffusé à la télévision suédoise en 1975, Peter Watkins étend l'aspect participatif de son oeuvre en ne donnant pas de directives aux membres de l'équipe technique, notamment aux cadreurs, ce qui créa une véritable atmosphère de communauté et de coopération artistique encore jamais expérimentée dans l'histoire du cinéma.


Libérant le tournage de contraintes jusqu'alors encombrantes en côtoyant simplement les acteurs sur la scène, le réalisateur, hors champs, joue un journaliste rangé de la BBC, interpellant les personnages dont les réponses s'avèrent alors d'autant plus spontanées.


The Trap est un film d'anticipation projetant les préoccupations des années 70 une trentaine d'année plus tard, à l'aube du nouveau millénaire. De la sorte, Watkins imagine que les relations entre les grandes puissances nucléaires se sont renforcées, ainsi que la coopération avec des pays auparavant "neutres".
En 1975, il paraissait forcément difficile d'imaginer que l'URSS alors à son apogée s'effondrerait 15 ans plus tard. Ainsi le film en fait un élément incontournable des forces en présence.
Pour se rendre à un diner de famille afin de célébrer le nouveau millénaire, un père et son fils doivent traverser divers checkpoints tenus par des militaires représentant la Russie, l'Allemagne, les Etats Unis, etc, comme la marque d'une époque devenue extrêmement sécuritaire à cause de sa technologie potentiellement dévastatrice.


Mais The Trap est loin d'être un très bon film d'anticipation. Le film se concentre tellement sur la politique et le traitement médiatique de l'actualité qu'il en néglige ici tous les autres aspects.


Les appartements dans lesquels se situent l'action ressemblent à des bunkers des années 70, les costumes et la mode sont ceux des années 70. Alors, certes, il y a dans tout film de SF/anticipation des éléments de l'époque où a lieu le tournage. Mais un minimum de travail sur les décors et les costumes aurait pu être effectués. Là aussi, il semble y avoir une preuve de plus que Watkins est doué pour les reconstitutions, beaucoup moins pour la spéculation.


Par ailleurs, le film apparaît comme le point culminant de la volonté du cinéaste de pointer les régimes politiques en place comme "tous pourris", un propos déjà amorcé dans The Gladiators en 1969 lorsqu'il faisait de la Suède (ironiquement terre d'accueil de son tournage) tout à la fois l'hôte de jeux sanglants entre soldats des divers nations, et le fournisseur de la technologie utilisée dans cet événement.


Dans The Trap, ce "tous pourris" est d'autant plus marqué par la scène de célébration du nouvel an en compagnie des militaires et du psychiatre de l'installation, tandis que seul le membre de la famille qui est accusé d'activités anti-sociales apparait comme ayant un discours clivant.


Le regard des pays nordiques sur le nucléaire est pourtant bien différent en l'an 2000 que ce qu'en imaginait Peter Watkins, en atteste le référendum survenu vingt ans plus tôt en Suède sur l'arrêt progressif du nucléaire et le développement de nouvelles énergies, qui ne sera remis en question qu'en 2009.


De plus, même dans les années 50, et en dépit du double jeu et de la langue de bois des gouvernements sociaux-démocrates suédois sur le sujet, la recherche sur le nucléaire civil a toujours été en avance sur le nucléaire militaire, avant que les projets autour de ce dernier ne soient complètement abandonnés avec l'initiative du traité sur l'arrêt des essais nucléaires et la politique de désarmement au cours des années 60.


Ainsi, en 1974, quand a commencé l'écriture et la production du film, l'affirmation publique par les autorités suédoises de l'abandon du projet d'acquisition de l'arme nucléaire avait déjà eu lieu près de dix ans plus tôt.


Au final, Fällan/The Trap n'est pas un des meilleurs film de Peter Watkins. La façon dont il a été tourné est plus intéressante que son contenu, constituant le premier film quasiment entièrement participatif.


La vision du futur qui est donnée ne semble pas parvenir à se décoller d'un présent marqué par la peur du conflit nucléaire et l'imagination d'un consensus des pouvoirs sur le sujet.


De plus, pour un film d'anticipation, on aurait pu souhaiter que l'esthétique soit plus travaillée, donnant, à l'instar de films de SF marquants dans les années 70, un aspect artistiquement plus pertinent du futur.


Je mets 4 étoiles pour l'expérience participative inédite, 1.5 pour la réalisation, ce que j'arrondis à 5 pour SC.

Greenbat85
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le 9 févr. 2021

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