Falling
6.3
Falling

Film de Viggo Mortensen (2020)

"Falling" n’est pas un film parfait. A la limite, ce n’est même pas un film très plaisant. Il est rempli de petits défauts, sans doute dus au désir de Viggo Mortensen de “tout mettre” dans son premier film en tant que réalisateur : après tout, il ne peut pas être certain de jamais en faire un deuxième, et il a pris le risque de saturer le spectateur, de le perdre à cause d’un matériau trop riche, et pas très équilibré.


Entre le passé de cette famille, étouffée, massacrée même par l’amour maladroit – car de l’amour il y en a – d’un père à la masculinité que l’on qualifie de nos jours de “toxique”, et le présent qui voit le patriarche s’abimer chaque jour davantage dans une sénilité qui révèle toute la méchanceté et l’obscénité enfouie en lui, il y aurait presque deux films différents à faire, mais les deux doivent coexister dans "Falling". Et c’est cette coexistence entre des moments d’une grande subtilité (le passé), portés par une narration fine – et une musique remarquable – et d’autres, certes drôles (la logorrhée agressive du père) mais très vite épuisants (le présent), qui crée une sensation de trop plein, nuisant indiscutablement au film… Ce qui explique sans doute des réactions relativement négatives à un film qui, à notre avis, ne les mérite pas vraiment.


Car les moments de grâce – comme ceux des rapports entre le père encore jeune et son fils qui essaie de se construire, avec la chasse comme symbole de transmission ratée, mais ayant néanmoins le mérite d’avoir existé – ne manquent pas, et ces passages de "Falling" témoignent d’un vrai potentiel chez Mortensen réalisateur, ou en tous cas d’un vrai regard… que l’on espère retrouver, donc, dans un prochain film.


Finalement, le vrai problème des scènes centrées sur la sénilité du père, ce n’est peut-être pas un apparent excès de simplisme qui consiste à opposer les idées réactionnaires du père aux poncifs de la gauche libérale états-unienne : ce déchirement au sein des familles entre pro-Trump et anti-Trump, pour faire simple, est bien la réalité actuelle d’un pays profondément divisé, où même les membres d’une famille n’arrive plus à se comprendre.


Non, ce qui déséquilibre "Falling", c’est l’interprétation – et la personnalité – stupéfiante de Lance Henriksen, qui réduit les autres interprètes à faire de la simple figuration : face à lui, Mortensen semble aussi inhibé comme acteur que son personnage l’est dans le script, et Laura Linney n’arrive même pas à être crédible. Et le réalisateur Viggo Mortensen n’arrive pas à gérer ces excès outranciers, régulièrement aussi fascinants que pénibles, qui se déversent à l’écran. Le tout est parfois très drôle – comme dans la scène du proctologue interprété par l’ami Cronenberg venu supporter le projet – mais souvent horrifiant. Le film en est donc indiscutablement déséquilibré… Pourtant, nous qui avons toujours admiré Henriksen dans les nombreuses Séries B de SF qu’il a fait dans ses jeunes – et moins jeunes – années, nous délectons de voir son talent enfin reconnu.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette chronique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/05/26/falling-un-premier-film-prometteur-phagocyte-par-son-acteur/

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 26 mai 2021

Critique lue 574 fois

9 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 574 fois

9

D'autres avis sur Falling

Falling
dagrey
7

"Pardonnes moi de t'avoir mis au monde pour que tu meures*..."

John vit en Californie avec son compagnon Eric et leur fille adoptive Mónica, loin de la vie rurale conservatrice qu’il a quittée voilà des années. Willis, son père, vit seul dans une ferme isolée,...

le 23 mai 2021

23 j'aime

14

Falling
JoRod
7

Viggo première !

Le tant apprécié Viggo Mortensen s’essaye à la réalisation avec Falling. Une histoire de filiation père-fils conflictuelle et complexe mis en scène avec la finesse et la pudeur qui le...

le 12 oct. 2020

13 j'aime

Falling
AnneSchneider
7

Quand la vraie force se cache là où on ne l’attendrait pas…

Connu pour ses prestations d’acteur, mais également reconnu en tant que poète, photographe et peintre, Viggo Mortensen, tout en tenant le premier rôle, passe également derrière la caméra pour sa...

le 22 juin 2021

12 j'aime

6

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25