Les mémoires de Fanny Hill, vendeuse de chapeaux

Film assez confidentiel au sein de la filmographie de Russ Meyer (peut-être car moins porté sur la nudité féminine que la plupart des autres), Fanny Hill nous raconte l'histoire d'une brave fille de la campagne (Fanny) dont les charmes attirent l'attention d'une épouvantable maquerelle (Miss Brown). Cette dernière, voulant profiter de la beauté de Fanny pour s'enrichir, lui fait croire qu'elle l'accueille dans une boutique de chapeau où elles loge une dizaine de cousines de sa famille, puis va, par la suite, tenter de vendre sa virginité aux hommes les plus riches qu'elle connait. L'intérêt de ce synopsis plutôt glauque va résider dans son traitement sous la forme d'une comédie burlesque, dont le scénario basé sur l'enchainement de quiproquos s'avère diablement efficace. En effet Fanny, en personnage exagéré au possible de naïve fille de la campagne, ne comprend rien à tout ce qui se déroule sous son nez et il est rapidement assez amusant de voir le monde de la prostitution victorienne des yeux d'une personne aussi innocente. Parlant de son pasteur aux client, glorifiant constamment une gérante de bordel peu recommandable du titre de sainte femme, Fanny multiplie des interventions toujours plus drôles dans leur décalage.

C'est une comédie de qualité (dont la forme rappelle un peu celle des cartoons) qui se construit dans la succession de gags potaches qui viennent mettre à mal les manigances de Miss Brown pour passer outre le consentement de Fanny. Et si le film pourrait devenir tragique tant elle s'avère être un véritable monstre, il est finalement très plaisant dans la manière qu'il a de décrédibiliser les individus les plus infâmes en les tournant en ridicule. Tout cela créant un amusant contraste entre l'aspect malsain des évènements qui se déroulent et le discours ignorant et naïf via lequel ils nous sont commentés.

Tout cela donne une atmosphère tout à fait unique à Fanny Hill, renforcée par une identité visuelle forte : surjeu burlesque, costumes et perruques, noir et blanc franchement propre, transitions sous forme de pages... Attardons nous sur ces transitions, elle nous explicitent la référence du nom Fanny Hill à un livre qui a fait scandale au XVIIIe siècle en contant le quotidien d'une prostituée et était encore interdit d'édition en Angleterre en 1970 (et donc au moment de la sortie du film). Je n'ai pas lu ce fameux roman érotique mais dont il suffit d'en parcourir le résumé pour comprendre que Russ Meyer le prend a contrepied, transformant un personnage on ne peut plus dévergondé en un parangon de vertu et insérant avec ingéniosité sa comédie potache dans une tradition artistique basée sur l'insolence (ce que nous confirme la phrase d'accroche "They said it could not be filmed" présente sur l'affiche).

Parfois bordélique mais dans l'ensemble plutôt marrant, Fanny Hill est un film sympathique, bien dans son époque mais divertissant et réussi car fonctionnant comme un ensemble cohérent, intelligent dans sa stupidité. L'un des meilleurs de ce vieux Russ.