F&F, une étude intégrale, 1/8 : Insécurité routière : tous touchés, tous consternés, tous infaisable

[Avec plus de 5 milliards de recettes, F&F figure dans le top 10 des sagas les plus rentables de l’histoire du cinéma. L’occasion de pleurer sur le septième art, de se questionner sur ce qui fait son succès, ce qu’il dit du monde qui la plébiscite et de son évolution au fil des exigences fluctuantes du box-office. Une saga critique en huit parties]


Aussi surprenant que cela puisse paraître, le premier volet de F&F doit son origine à un texte (oui oui, avec des mots), à savoir un article de presse intitulé X-race et paru dans Vibe en mai 1998, abordant les courses illégales dans les rues de New York et le jeu de chat et souris qu’elles occasionnent avec la police.
De fait F&F est à l’origine un films de niche, pour adeptes de tuning. Un univers bigarré et folklorique qui vaut bien celui des galaxies lointaines très lointaines. Un jargon incompréhensible, des meutes autour d’un capot ouvert sur des chromes rutilant, des néons qui colorent la route, c’est toute une mythologie habituellement cantonnée aux parkings sous-terrains qui accède désormais aux flux mainstream. Le commun des mortels va ainsi pouvoir découvrir le SPL (un concept génial qui consiste à équiper votre voiture d’enceintes puissantes au point de réduire vos tympans à l’état de porridge, et l’injection d’azote dans ton moteur pour passer à une vitesse atrocement rendue par un travelling compensé qui mettrait la nausée à un aveugle.


Le tuning est une fête : la musique est forte, les gangs avancent au ralenti (avant la course, évidemment, les filles sont jolies et semblent tout affriolées parce cette débauche de pistons (on en reparlera dans un épisode dédié). Les chauffeurs sont les cavaliers des temps modernes, se déplacent en formation jalousées par la Patrouille de France, et se garent à la perfection grâce à un grand angle qui voit les pare-chocs s’aligner ou un dérapage contrôlé aboutir pile dans le cadre avec la précision d’un défilé Nord-Coréen.


L’héroïsme ne consiste plus à sauver la veuve et l’orphelin, mais à mettre en scène les conduites ordaliques : aller très vite, sauter d’un pont, ou pratiquer le drift (FF3), c’est-à-dire conduire en diagonale en fumant ses pneus dans les deux sens du terme.


Tout ça suffirait à garder les paupières du spectateur écarquillées (de terreur, de consternation, d’intérêt ethnologique, que sais-je) mais la saga ne va évidemment pas s’arrêter là.


Il y a une vraie philosophie chez ces gars. Des valeurs aussi (mais elles sont tellement denses qu’elles méritent un chapitre sur le sujet), mais avant tout un petit vivier à aphorismes d’un soir de confidence entre une Corona et un feu de camp où le possee compte les biftons braqués le jour même : la vitesse, le drift, c’est une définition de la liberté, une sorte d’orgasme existentiel auquel le commun des mortels dans sa Punto n’aura jamais accès.


Tej Parker le dit bien (FF6) : It's all between you and the car you build it's a bond, it's a commitment. Et Hobbs de répondre : Sounds like marriage. Letty ne s'embarasse pas de métaphore et place au moins une fois par épisode son structurant Ride or Die.


Ce doit être parce qu’ils sont dotés de cet adage qui confine à la foi que nos héros sont invulnérables. Tonneaux multiples, sauts de falaises, explosions, choc frontal (sur la voiture de l’ennemi Jason Statham dans FF7, un tunnel de béton, au sol après une chute) occasionneront une musique de suspense et un peu de cambouis sur la joue.


Parce que le monde a compris : la foule s’écarte quand on fait du 180 en ville, et à cette vitesse, à Tokyo, les flics ne flashent même plus parce qu’ils peuvent pas test avec leurs voitures playmobil.
Les mecs conduisent comme des dieux et passent super vite les vitesses grâce à un montage cut que n’aurait pas renié Eisenstein, les routes sont interminables tant on dilate leur performances, et évitent avec aisance par des slaloms chorégraphiés les pisse-froid qui roulent dans le sens conventionnel sur l’autoroute. Ils parlent d’une voiture à une autre et on se demande comment ils font pour s’entendre, mais au vu des inepties qu’ils se balancent (Let’s do this, Yeah ! I’m gonna win this race !) ce n’est pas bien grave de parler seul.


Alors bien sûr, le succès aidant, on va monter en gamme dans les voitures et les cascades, et il faudra de temps en temps retourner dans la street (FF6 pour gagner un véhicule, le prologue de FF8 à Cuba pour se la jouer cette fois tiers-mondiste de la race) pour montrer qu’on est resté un authentique bonhomme, mais la graisse de moteur fait de moins en moins de tâches.


N’empêche. C’est quand même mieux de ne pas voir ces films en salle. Non seulement parce qu’il faudrait payer, mais surtout par crainte du retour à la maison en voiture, trajet durant lequel on serait forcément tentés de prendre un rondpoint à l’envers en le maculant de la gomme de ses pneus avant de prendre la quatre voie en contre sens pour rentrer plus vite et oublier au plus vite ce produit dangereux pour le cinéma, la sécurité routière et l’humanité toute entière.


La suite, c'est vendredi prochain.


https://www.senscritique.com/liste/Fast_Furious_une_etude_integrale/2203860

Sergent_Pepper
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le 31 août 2018

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