« Marcher sur l’eau, Éviter les péages, Jamais souffrir... » (Alain Bashung)

Et si... Et si Bonnie and Clyde avaient eu une fille... Alors ils ne seraient pas morts... Ils n’auraient pas pu, pour elle... Ils auraient vécu plus sagement, de petits larcins, petits squats, petits métiers, et auraient embarqué l’enfant dans leur dérive... Et l’enfant, elle, aurait trouvé ses parents bien étranges, n’aurait rêvé que de normalité, de faire une rentrée scolaire normale, avec les autres enfants, et sans qu’il lui manque une seule fourniture... D’autant que ses parents, comme si leur vie n’était pas déjà assez folle, adoreraient jouer à se faire croire l’un à l’autre des histoires encore plus démentes et invraisemblables ! Contre cette folie humaine, un seul rempart : le casque anti-bruit, qui plonge l’enfant dans un monde de silence, où elle brode librement sur sa complicité rêvée avec les arbres, les plantes, les animaux, et aussi un cosmonaute qui aurait le visage d’Orelsan...


C’est dans cet univers que, pour son deuxième long-métrage, Bruno Merle se plaît à nous immerger. Un univers dans lequel le fil narratif n’est pas unique, mais toujours porteur de potentialités multiples, comme dans une sorte de Big Bang permanent. En effet, en plus des fictions qui viennent pimenter le fil de la vie, le réalisateur insiste sur la notion des choix, et va parfois jusqu’à les donner à voir, en filmant leurs conséquences en chaîne ; ou encore, c’est la petite famille elle-même qui s’amuse à rejouer les scènes, « façon pub », selon l’expression du père, soit pour rattraper une page accidentellement ratée, soit pour gâcher délibérément une première version qui fera jaillir toute la « felicità » de la seconde...


Charmé, le spectateur se laisse ainsi volontiers inviter à marcher sur l’eau en compagnie de l’attachant trio. Dans cette version 2020, Clyde Barrow est Tim, incarné par un Pio Marmaï, que l’on a l’impression de retrouver quelques années après le rôle qui était le sien dans « En liberté ! » (2018), de Pierre Salvadori ; l’acteur excelle dans ces personnages de repris de justice un peu égarés mais infiniment tendres et attachants, affirmant d’ailleurs avoir « beaucoup changé », même si les scènes qui suivent, selon la logique joueuse du film, s’emploient à faire penser aussitôt le contraire... Sa Bonnie Parker est Chloé, à qui Camille Rutherford prête son délicat visage et sa gravité teintée d’enfance. Et c’est la propre fille du réalisateur, très prometteuse Rita Merle, qui incarne magnifiquement Tommy et son regard tout à la fois droit, questionnant et sensible sur le monde.


Avant que le film nous happe dans son propre parcours, on ne peut se défendre de songer au groupe familial original et fantasque qui apparaissait dans la réalisation d’Antony Cordier, « Gaspard va au mariage » (2018), et qui offre à cette fragile cellule comme un lointain cousinage, en plus sédentaire. Si le film de Bruno Merle est plus trépidant, emmené sur un rythme de batterie haletant par la musique de Pygmy Johnson, un questionnement similaire le traverse : qu’est-ce que la famille, la parentalité, quelle éducation offrir à son enfant, quelles sont les conséquences des folies parentales sur les petits êtres de la famille...? Pour couronner le tout, la très belle photographie de Romain Carcanade achève de transporter le spectateur dans un espace à la fois simple et puissamment esthétique, loin des laideurs du monde... Un univers dans lequel, pareil au cosmonaute dans sa combinaison étanche, on continue à flotter longuement et agréablement.

AnneSchneider
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le 19 juil. 2020

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Anne Schneider

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