Des gens ordinaires sous une pression extraordinaire

Afin d'augmenter ses tirages, les dirigeants du journal "La Gazette" vont ressortir une affaire d'homicide pour en faire un "feuilleton". Cette histoire de meurtre datant d'une vingtaine d'années concerne Nancy Voohers ancienne secrétaire qui a tué son patron. Celui-ci l'avait au préalable mise enceinte. Cependant, elle fut acquittée dû à sa grossesse. Depuis Nancy a refait sa vie avec Michael Townsend qui a adopté sa fille, Jenny. Celle-ci est sur le point de se marier avec le fils d'un riche industriel et n'a jamais su la vérité sur sa mère, ni le fait que Michael n'est pas son vrai père.


La réalisation de Mervyn Leroy se veut très réaliste, ne faisant appel à aucune musique tout au long du métrage (sauf lors d'une scène ou celle-ci, est diégétique). Le cinéaste met en scène de manière astucieuse l'absence d'humanité qui caractérise les dirigeants du journal, également des rédacteurs qui travaillent pour eux. Pour exemple, cette excellente séquence en split screen dans laquelle Nancy tente d'avoir au téléphone le rédacteur en chef Randall et Hinchecliffe, le directeur, afin d'annuler la parution de la série d'articles concernant son passé. Paniquée à l'idée des conséquences que cela pourrait avoir sur sa famille et notamment sur le mariage de sa fille, on y voit la peur se confronter au mépris et à l'indifférence des deux hommes. Quant aux journalistes, ils n'hésitent pas non plus à utiliser les stratagèmes les plus amoraux pour obtenir des informations. Ainsi, Isopod (Boris Karloff), se fait passer pour un prêtre afin d'abuser de la confiance de Nancy et Michael. Ou bien lorsque Kitty Carmody, nouvelle Reporter de La Gazette entre par effraction avec son photographe chez les Townsend.


L'interprétation des acteurs est tout à fait remarquable, à commencer par celle d'Edward G Robinson. Joseph Randall est la représentation physique du cynisme qui caractérise le film. Randall est un journaliste qui ne croit plus en son métier, en l'intelligence des lecteurs. Il exerce sa profession sans passion, gère son service d’une main de fer, attendant la retraite avec un bon capital financier. Hormis sa secrétaire, Miss Taylor, (la seule qui trouve les méthodes de ce journal scandaleuses et n'hésite jamais à le rappeler) il est le journaliste qui prend le plus conscience de ses actes et par conséquent celui qui est le moins excusable des méthodes employées au nom du premier amendement. Mervyn Leroy tente d'emblée de démontrer l’autorité de son personnage principal en jouant sur le hors champ. Il met environ une dizaine de minutes avant de le faire apparaître à l'écran alors que tout le monde au journal parle de lui et se demande ou il est. Lorsqu'on le voit enfin, ce n'est pas son visage que la caméra filme en premier, mais ses mains qu'il est en train de laver. Un élément dont on aura l'occasion d'observer à trois reprises dans le film. Une manière symbolique de suggérer que le protagoniste tente de laver ses mauvaises actions ce qui accentue sa prise de conscience et sa responsabilité.


Le reste du casting n'est pas en reste notamment avec Boris Karloff, comme un poisson dans l'eau dans le rôle du repoussant manipulateur Isopod ou Oscar Apfel (Hinchecliffe) en directeur peu scrupuleux. La touche émotionnelle du film provient indéniablement des interprètes de la famille Townsend. H.B. Warner (Michael), Frances Starr (Nancy) et Marian Marsh (Jenny). Tous les trois arrivent à nous faire ressentir énormément de compassion quant à la situation qu'ils subissent. Le réalisateur leur accordera à chacun l'occasion de briller. Pour Nancy et Michael lors de cette confrontation avec les futurs beaux parents de leur fille, et Jenny lors de ce mémorable final ou la tension est à son comble.


Five Star Final est une satire cynique et pessimiste sur le monde du journalisme. Une presse qui n'a pas pour but l'information, mais le sensationnel. Les lecteurs doivent être distraits avec des histoires éphémères qui seront les captiver pour permettre d'augmenter les ventes. Le film décrit avec véhémence ce qu’était la presse à scandale dans les années 30. Mervyn Leroy se sert de l'histoire de cette famille fictive pour démontrer les pratiques peu orthodoxes de ces feuilles de chou et des dommages collatéraux qu'une révélation privée peut avoir sur autrui

Créée

le 31 mai 2018

Critique lue 407 fois

8 j'aime

2 commentaires

Chris Tophe

Écrit par

Critique lue 407 fois

8
2

D'autres avis sur Five Star Final

Five Star Final
ChrisTophe31
8

Des gens ordinaires sous une pression extraordinaire

Afin d'augmenter ses tirages, les dirigeants du journal "La Gazette" vont ressortir une affaire d'homicide pour en faire un "feuilleton". Cette histoire de meurtre datant d'une vingtaine d'années...

le 31 mai 2018

8 j'aime

2

Five Star Final
PierreAmo
9

1931:déjà sur MeToo,JDD,religion,patriarcat,Tartuffe,droit à l'oubli internet et lavages de mains!

"...prenez pas un taxi seule avec lui" conseille le prévenant boss joué par E.G. Robinson. 1931? on dirait des allusions aux récentes affaires Hulot ou PPDA: genre, tout le monde savait qu'il fallait...

le 26 août 2023

5 j'aime

2

Five Star Final
blig
6

Le blasphème fait journal

La Gazette est un torchon new-yorkais qui pète plus haut que son cul et abreuve, sous l'impulsion de son rédacteur en chef à l'intégrité et l'éthique journalistique encore irréprochable, la masse...

Par

le 11 déc. 2014

3 j'aime

Du même critique

Shutter Island
ChrisTophe31
10

Shutter Island: analyse #4 ( SPOILER !!! )

Attention, là, je vais m'attaquer à un très grand film, l'un des meilleurs avec Leonardo Dicaprio sous la direction de Scorsese (avec Le loup de Wall Street ). Je veux parler bien sur de Shutter...

le 25 juil. 2015

363 j'aime

41

Collatéral
ChrisTophe31
9

Il était une fois à L.A

En 2004, Michael Mann réalisait avec Collatéral, l’un des polars les plus jouissifs du cinéma américain et par la même occasion l’un de ses meilleurs films. C’est dans la cité des anges, le terrain...

le 24 oct. 2015

100 j'aime

17

Creed - L'Héritage de Rocky Balboa
ChrisTophe31
9

Un boxeur au grand coeur

Comme beaucoup de monde, j'étais assez septique lorsqu'un spin off sur la saga Rocky a été annoncé. Ayant un grand attachement pour ce personnage depuis ma plus tendre enfance, ma réticence venait...

le 14 janv. 2016

74 j'aime

23