Forrest Gump, un classique qui ne démérite pas

Forrest Gump est aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma – bien plus que du simple cinéma américain, un chef-d’œuvre du Septième Art. On ne peut lui retirer ce titre : il est de ces long-métrages dont on en entend parler depuis la toute jeunesse ; avant même de voir le film, ce nom de « Forrest Gump » résonnait en moi comme quelque chose de connu – telles les expressions, « la vie, c’est comme une boîte de chocolat… » ou « cours Forrest, cours ! »
Ce film est bien plus qu’une simple pellicule d’images projetées sur un filtre vide faisant office d’écran : c’est une œuvre d’art qui a su faire trace dans le paysage culturel mondial.


Pas la peine de palabrer davantage : ce film m’a touché, il m’a saisi, m’a cueilli dans la profondeur de mon âme. J’en avais vu des bribes, plus jeunes, mais je crois avoir été, justement, trop jeune pour pouvoir assimiler pareil œuvre cinématographique.
Le casting est superbement choisi, aucun acteur ne fait mouche, pas même quelques personnages secondaires, non : tout semble parfait. Tom Hanks est le grand acteur de notre siècle, c’est un monstre multiforme au même visage, qui a la capacité, en conservant ses traits qu’on reconnaît bien, de muer vers des personnages divers et imprenables. C’est ce que j’appelle personnellement un interprète au sommet de son art ; ce talent-là outrepasse les capacités humaines à changer de peau : on idolâtre souvent des acteurs et actrices n’ayant, en vérité, qu’un seul et même visage : les grands artistes de ce Huitième Art – celui de l’interprétation, comme je le classe dans ma propre hiérarchie artistique – sont ceux dont on ne sait jamais quel sera leur rôle en débutant le visionnage d’un film. Tom Hanks, malgré sa grandeur, n’arrive pas à faire de l’ombre à ses collègues, qui brillent d’une luminescence splendide : par exemple, Gary Sinise est tout bonnement impérial dans son rôle de vétéran durement marqué par une guerre indésirée et manquée.
Faut-il – encore – parler du doublage ? Le comédien de doublage, à la différence du doubleur, est un artiste qui donne de sa voix pour faire vivre un personnage qu’il n’a lui-même pas interprété physiquement ; son talent est double : celui d’interpréter et le personnage de l’écran et, par là même, l’acteur qui lui donne peau – n’est-ce pas là presque un pouvoir magique ? Bien évidemment, Puymartin – voix de Forrest Gump – est devenu incontournable – l’une des plus belles voix du cinéma français, un génie de l’ombre – ; Emmanuel Jacoby – voix de Dan Taylor ; que j’ai souvent confondu avec le monument qu’est Jacques Frantz, alors que leurs voix, à bien écouter, n’ont que très peu de similitude (sinon une tessiture douce des plus graves et envoûtante) – a, de sa belle et forte voix, su rentrer à merveille dans la peau du personnage de Gary Sinise ; petite pensée à feu Patrick Renwick dont j’ai reconnu la voix truculente et majestueuse – l’un de mes comédiens de doublage préféré. Cette petite aparté me semblait nécessaire pour rendre hommage à ces artistes de l’ombre qui mériteraient d’être davantage reconnus – étonnant d’entendre Marion Game dans le rôle de la mère.


"Forrest Gump" est bien plus que la simple autobiographie/biographie d’un personnage singulier, celui éponyme ; ce serait le réduire et n’avoir rien compris, je pense.
Ce film m’a touché avant tout, et comme tout le monde, par ce personnage si particulier, si touchant, si sensible : Forrest Gump. Il a beau avoir un QI inférieur à 75, c’est le plus humain de tout ceux dont il a croisé la route et, si l’intelligence est lente et peu visible en lui, il n’en est pas dénué – loin de là. Qu’est-ce que le QI, au final, si ce n’est une énième barrière sociale entre les individus – barrière dont la nature est douteuse, qui plus est – ? En outre, j’ai toujours été sensible aux œuvres traitant de personnages au mental singulier, ceux qu’on appelle « imbéciles », « fous », « aliénés », « autistes » etc. Je ne saurais dire d’où provient clairement cette sensibilité – de ma vie personnelle, très certainement, mais pas que –, mais j’ai toujours vu une injustice sociale qu’on ne préfère pas regarder, qu’on aime à nier l’existence : celle de ces personnes, pareil, à des degrés divers, à un Forrest Gump ou à un Arthur Fleck du Joker, qu’on ne considère bien souvent pas mieux qu’un objet ou qu’une bête ; et pourtant, je pense qu’il y a beaucoup à apprendre de la folie – Gump n’est pas un « fou », c’est un grand enfant, ceux que les plus dénigrants et mauvais insulteraient de « retardé » (ce qui est une certaine folie, en tant que décalage d’avec la réalité des choses, décalage pas si net, d’ailleurs). Très logiquement, la mise en avant d’un personnage comme Forrest Gump auquel on donne une humanité vive et réelle – ferait-on pareil pour un Forrest Gump dans le quotidien ? je ne pense pas, bien malheureusement ; nombreux seront comme cet homme sur le banc, à rire de lui sans chercher à le comprendre, à l’assimiler en tant qu’être humain – m’a immédiatement touché dans ma pleine sensibilité du sujet.
C’est à la fin du film qu’on se rend compte que Forrest Gump a l’esprit, quoique confus, d’un poète : il admire ce qu’il y a à admirer, vit simplement, rejette toute forme d’utilitarisme – jusqu’à l’extrême : il court pour courir (Gump serait-il un Diogène moderne, dans une moindre mesure ?) – : en somme, Forrest Gump n’existe que pour deux choses : aimer Jenny, et vivre.
Autre aspect important, qui va dans le traitement des « oubliés » de la société : les handicapés physiques. Le sergent Dan est un personnage en souffrance perpétuelle, contrairement à Gump qui, malgré les douleurs, envisagent toujours la vie du bon côté des choses. C’est un homme qui broie du noir, prêt à se suicider ; son infirmité l’humilie et le rend honteux de lui-même. Ce que Gump va donner à Taylor, outre plusieurs décennies à vivre, c’est un retour sur soi, la fin d’une auto-mutilation mentale ; être un « cul-de-jatte » n’a rien d’humiliant – tout comme être « simple d’esprit » (en ce qui concerne Gump, je ne pense pas que ce soit un juste qualificatif ; mais l’a-t-il déjà été pour quiconque ?) – : ce n’est pas être différent des autres, c’est avoir une singularité – donc, en tant que telle, rien d’essentiel et de fondamental –, c’est rester un être humain, un être qui VIT. Dan Taylor est une sorte de Christ : courageux et audacieux, il a souffert le martyr – un martyr aussi bien physique que psychologique (si ce n’est plus) pour devenir haut et grand. Taylor et Gump sont tous les deux des êtres supérieurs par leur singularité, mais qui ne sont pas compris des autres et qui, pour le cas de Taylor, ne veut pas se comprendre. Je rajouterai que Forrest Gump a une caractéristique proche de la divinité : c’est un saint en ce que n’importe quelle personne qui le côtoie devient heureuse, ne serait-ce que de manière éphémère.
Cependant, "Forrest Gump", ce n’est pas uniquement cela ; "Forrest Gump", c’est une fresque de l’histoire américaine de la dernière partie du XXe siècle. On peut le dire : la vie de Forrest Gump est très remplie, si ce n’est totalement irréaliste. Mais est-ce pertinent de juger de sa possibilité ou non ? Certainement pas ; Zemeckis nous offre un résumé plus ou moins développé de l’histoire américaine de cette fin de siècle, un siècle de décennies dures et violentes. La totalité du film s’enroule autour d’un contraste entre la gentillesse et la naïveté de Forrest – qui font de lui un parangon de la pureté, un être sans à priori, respectueux et profondément humain par nature – et la brutalité sanguinaire du monde ; les événements sont toujours macabres et funestes : les assassinats des frères Kennedy, de John Lennon, les diverses tentatives d’homicide à l’encontre de Gerald Ford, Reagan ou Nixon, la guerre du Vietnam, la maladie, la violence – notamment sexuelle – : rien n’est rose, rien n’est beau – même Jenny, la Femme providentielle, est une fleur qui fane et finit par mourir (une tragédie surprenante qui affecte le spectateur, lui qui sait l’importance qu’elle a pour Forrest).


En définitive : "Forrest Gump" est un chef-d’œuvre qui appelle à une certaine humilité de chacun face à la pureté ; un film dont on ressort en se questionnant, en méditant sur bon nombre de choses, sur moult aspects de la société d’aujourd’hui, de l’existence et sur l’Être humain. Une œuvre à voir et revoir, inlassablement, encore et encore – une œuvre pleine d’idées et de sagesse.

Dagogo
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le 30 juil. 2021

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