La compétition fait partie intégrante de nos vies et, si l’essentiel est de participer (dixit le baron Pierre de Coubertin, père des Jeux Olympiques modernes), celles et ceux que le public retient vraiment sont les vainqueurs. Comment échapper à cela quand chaque individu est le fruit d’une course effrénée entre des millions de spermatozoïdes pour féconder un ovule ? Compétition aussi à l’occasion pour conquérir (ou regagner) le cœur d’une femme (d’un homme), obtenir un emploi (voire le conserver). Gagner une médaille aux Jeux Olympiques permet de voir son nom figurer sur les tablettes pour l’éternité (résultats d’heures d’entraînement et de compétitions qu’on ne compte plus). Etc.


Mais, tout le monde sait aussi que la quatrième place est la plus mauvaise, la première de celles qui ne permettent pas d’accéder au podium.


Alors, dans un pays comme la Corée (du sud), où l’esprit de compétition est exacerbé, la quatrième place peut être perçue comme une honte. Joon-ho (Jae-Sang Yoo) n’a que 11 ans et il pratique la natation depuis quelques années. En compétition, il échoue régulièrement au pied du podium. Il ne l'accepte pas spécialement bien, sa mère encore moins. Jung-ae (Lee Hang-na) assiste régulièrement aux épreuves depuis les tribunes. Elle vit littéralement les courses, hurle et trépigne pour pousser son fils, pendant que son mari travaille dans un bureau. Quand elle annonce au téléphone à ce dernier une nouvelle quatrième place de leur fils, il lui suggère de laisser Joon-ho plus tranquille. Incapable d’abandonner les espoirs suscités par la vocation de son fils, la mère contacte Kwang-soo (Park Hae-joon).


Le prologue (en noir et blanc) nous a permis de suivre la carrière de Kwang-soo lorsqu’il était un espoir de la natation coréenne. 16 ans auparavant (alors interprété par Jung Ga-ram), il ambitionnait de représenter la Corée aux Jeux Olympiques qui justement se passeraient à Séoul (1988). Il était doué et se savait prêt. Trop sûr de lui, il avait disparu de l’entraînement plusieurs jours d’affilée. Bien évidemment, l’escapade n’avait pas été du goût de son entraîneur. Une fureur se manifestant de façon insupportable pour Kwang-soo. Dégoûté, celui-ci avait purement et simplement abandonné la natation.


Fourth place ne se contente pas d’explorer les rapports entre le jeune nageur et son entraîneur. Le prologue est suffisamment long pour faire comprendre la personnalité de Kwang-soo. Son abandon de la natation l’a marqué. Suffisamment pour qu’il accepte d’entraîner le jeune Joon-ho. Fort de son expérience personnelle, il pose au jeune nageur les questions qui lui permettront de cerner ses motivations.


Le film montre donc des séances d’entraînement ainsi que des compétitions de natation. Il exploite bien les qualités ciné-géniques de ce sport fait de mouvements harmonieux dans un environnement coloré. En compétition, chaque nageur évolue dans sa ligne d’eau et la caméra capte bien les positions des uns par rapport aux autres. Le film montre également que malgré leur jeune âge, les nageurs sont déjà des compétiteurs qui savent que tout commence avant même le contact avec l’eau (voir notamment certaines attitudes quand les finalistes viennent se placer devant leurs plots de départ). Ce que le film fait parfaitement sentir, c’est que pour gagner, être doué ne suffit pas car d’autres le sont également. Il faut aussi le vouloir au plus profond de soi pour être capable de littéralement se surpasser au bon moment. La question est donc de savoir pourquoi exactement Joon-ho pratique la compétition. Est-ce par goût personnel ou pour faire plaisir à sa mère ? Le film montre parfaitement que des parents cherchent à gagner par enfants interposés. Un phénomène particulier ni à la Corée ni à la natation. On observe cela un peu partout et le jeune âge de Joon-ho en fait une cible facile. Ce qui complique grandement la situation, c’est que Kwang-soo son entraîneur particulier, va reproduire sur son élève ce qu’il a lui-même subi (au point d’abandonner la compétition, rappelons-le). Et cette déconcertante aptitude humaine à la reproduction des comportements va loin puisque Joon-ho va l’appliquer lui-même à son jeune frère.


De ce fait, le film explore également le milieu familial. Des relations entre les parents, on retient que le père ne reporte pas d’ambition personnelle sur son fils, peut-être parce qu’il donne suffisamment d’énergie à son travail, alors que la mère se consacre essentiellement à son foyer. L’attitude de la mère est assez extrême mais pas caricaturale, ce qui donne bien évidemment à réfléchir. Dans les relations entre les deux frères, on remarque que le plus jeune profite de l’attention de la mère sur Joon-ho. Quand Joon-ho reste sur la touche, il regrette la relative liberté dont il jouissait.


Le plus important est donc ce qui se passe dans la tête de Joon-ho. On a droit à une très belle séquence où il nage seul un soir dans la piscine ; il y retrouve son goût pour la natation, les sensations de son corps dans l’eau et donc sa motivation première qui ne dépend pas de ce que veut sa mère. C’est très jeune pour y parvenir, mais il comprend ce qu’il veut vraiment et ce qu’il doit faire pour se donner les moyens de son ambition.


Le plus terrible est ce que la mère pourrait choisir :


Préférer que son fils se fasse battre physiquement par son entraîneur, plutôt que de se faire battre par ses adversaires en compétition (d’où mon titre). Un choix qui choque, surtout au regard du jeune âge de Joon-ho.


Vu au 13ème Festival du Film Coréen à Paris, le 1er novembre 2018

Electron
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le 21 nov. 2018

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