"I look at these people, and I wonder if anybody really loves anybody."

Frances est un film de 1983 réalisé par Graeme Clifford, scénarisé par Eric Bergren et Christopher De Vore (les scénaristes deux ans plus tôt d'Elephant Man, y a des liens) et Nicholas Kazan (le fils d’Elia, qui a connu Frances Farmer) avec Jessica Lange (viscérale et poignante), Kim Stanley, Sam Shepard (encore dans un film romantico-mélancolique, ça lui va bien) et la musique de John Barry (classique mais belle, à l’image du reste)


C'est ce qu'on peut appeler un biopic "académique", avec performance à Oscar. Je devrais détester. Mais non.


L'enfer, c'est les autres.


Je me souviens très précisément d’un moment en classe, c’était dans les premières années de collège, la 6ème ou la 5ème. A cette époque les professeurs représentaient l’autorité, on les respectait et même on en avait peur pour la plupart. Si vous faisiez quelque chose de travers les conséquences pouvaient être terribles, en tout cas ressentis comme terribles par un gamin sans expérience. En classe donc, pendant que la prof donnait une explication au tableau l’élève derrière moi me demande l’heure. Je lui réponds. La prof m’entends et m’engueule. Je lui dis normalement sans aucune animosité : "mais madame, il me demande l’heure je lui réponds", ce à quoi elle me rétorque avec un ton d’une sévérité et d’une sécheresse incroyable : "ne sois pas insolent !", qui ne me laisse pas le choix que de m’écraser comme un petit toutou sous peine de sanctions si je continuais à vouloir me défendre. Je sentais tout le monde me regarder, sans pouvoir savoir ce qu’ils pensaient de la situation. Moi je ne comprenais pas ce qui venait de se passer, et surtout en quoi j’avais été insolent et méritais un tel ton. C’est une sensation particulière, mêlant la gène, le sentiment d’être rabaissé, l’injustice et la colère. Ce n’est pas un sentiment propre à l’enfance, à l’école, et qui s’arrête dès les études terminées, je l’ai revécu plusieurs fois dans ma vie d’ado/adulte : face à un contrôleur de train, à mon patron, à une administration... Je n’ai pas encore eu affaire à la police ou la justice, mais qui sait.


Et bien Frances le film, c’est ce moment fois un million. C’est la représentation à l’extrême, jusqu’à son point le plus haut, le plus tragique, de ce sentiment. L’accumulation de réponses "insolentes" comme la mienne à toutes les formes d’autorités (et tout y passe : parent, producteur, metteur en scène, policiers, médias, juges, institutions médicales), un cercle vicieux d’incompréhensions, de rapports de force, d’humiliations, de dépression, qui conduisent au gâchis d’une vie, à la destruction d’une personne pleine de talent et d’intelligence, et à la victoire de la société (donc l’autorité) à conformer une personne et un esprit libre à ses désirs.


Sans parler même de société, on peut y voir une représentation (à l’extrême toujours) de l’influence de l’Autre, des autres, dans la construction et la destinée d’une vie. Personne ne se construit tout seul, nos vies sont dépendantes d’une infinité de liens, de relations, de rencontres ou séparations. C'est donc une sorte de fable tragique sur le gâchis d’une vie par les autres. Ce qui ne veut pas dire que la personne n’a pas sa part de responsabilité en cas d’échec, Frances par exemple revient plusieurs fois chez sa mère alors qu’elle aurait encore le droit de partir, c’est son choix. Elle choisit aussi de ne pas épouser Harry.


"After all, it is their imaginations and emotions that are disturbed."


On le voit, Frances est un biopic tout entier dédié à l’émotion, on peut lui reprocher d’en faire trop, voir de tourner des choses dans le but de provoquer de l’émotion, mais ce sont justement les émotions qui dirigent Frances au fil de sa vie, ce sont ses émotions que les autres (à l’exception de son père et Harry qui la prennent comme elle est) veulent annihiler. Le choix du romanesque, de ces explosions de rage, et de cette mélancolie et profonde tristesse qui irriguent le film au fur et à mesure, me semble donc être l’approche idéale pour représenter la vie d’une femme dont le combat est justement de faire valoir son droit d’exprimer haut et fort ses pensées et émotions, en toute liberté, face à des gens qui ne le permettent pas et veulent la museler, la contrôler. Dans un monde comme celui-ci les seules réponses possibles sont la rage ou le désespoir.
Je me fiche que tout ce qu’il y a dans le film soit réellement arrivé ou non (je pense surtout à la lobotomie), je me fous de toute façon de la véracité absolue d’un biopic, c’est une œuvre de cinéma, pas un documentaire. Sachant que même les documentaires ont probablement leurs erreurs puisque se basant sur les diverses biographies qui ont chacune des éléments controversés et contestés. Même l’autobiographie, c’est dire. Ce qui compte c’est que tout ce qui arrive dans le film aurait parfaitement pu arriver. Et rien que ça est tragique.


J'aurais beaucoup de choses à dire encore, notamment sur la création du perso de Harry et leur belle relation épistolaire, les scènes avec la mère, le père, la question de la foi, le début et la fin qui se rejoignent etc.... mais je n'aime pas les critiques trop longues à lire, je ne vais pas l'imposer aux autres.


PS : Quand on voit certaines choses très récentes : http://www.initiativecitoyenne.be/article-la-non-conformite-et-la-libre-pensee-considerees-comme-maladies-mentales-125434989.html on se dit que le sujet du film dépasse largement Hollywood et le métier d’acteur et a toujours de beaux jours devant lui…

Archie-Leach
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le 7 mars 2015

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