Un film culte que ce French Connection. Connu et reconnu pour sa course poursuite, le reste est évidemment tout aussi réussi. En adoptant une approche documentaire Friedkin donne une esthétique et une atmosphère à son film. Ici pas de cut à tout va, pas de shaky cam inutile, pas de scènes illisibles. On est majoritairement caméra à l'épaule, au plus proche des acteurs, en lumière et en décors naturel. Toutes ces caractéristiques donnent un style très particulier à l'image qui s'en retrouve toujours dynamisée par le mouvement, très granuleuse et contrastée.


Une photographie brute et sale, voulue et réussie, du moins dans la version d'origine. Car la version que j'ai pu voir provient du transfert Blu-Ray du film. Transfert effectué sans avoir consulté le chef opérateur Owen Roizman et qui anéantie une grande partie de son travail en rendant l'image atrocement étrange. Friedkin n'en a fait qu'à sa tête et lors de la numérisation du négatif il a tout fait passer numériquement en noir et blanc pour le recoloriser par la suite. Selon lui les couleurs n'étaient pas assez "documentaire". Il a donc recolorisé avec des tons pastels (ce qui donne un aspect plus kitsch que documentaire). Le film était censé être terne et granuleux mais Friedkin a finalement décrété qu'il détestait le grain et que le traitement effectué pour le transfert corrigerai tout. Or ces couleurs très (trop) saturées et tous ces traitements numériques ont rajouté du bruit de chrominance et ont donné au grain une texture électronique absolument immonde. Les teintes de visages sont rougeâtre, pourpre et en augmentant le contraste de son film Friedkin a totalement explosé ses hautes lumières et a écrasé ses basses lumières. En résulte une image plutôt décevante au vu de l'originale et qui détruit la photo et les idées originales du film. Quelques exemples de ces modifications grotesques:


-la scène d'introduction à Marseilles ou le bord d'un immeuble (bord droit) est de la même couleur que le ciel tandis qu'un autre bord d'une autre partie de la résidence (bord gauche) est lui d'un bleu beaucoup moins saturé et plus terne:
-la scène de poursuite avec Hackman en père noël dans son costume d'un rouge aveuglant ou l'on voit très bien les limites de l'ancien rouge sur les épaules notamment (difficile de juger avec ces petites captures je vous l'accorde):
-la scène du club que je trouve totalement gâchée avec ce traitement. Les couleurs sont criardes et le bruit chromatique tellement présent dans cette scène qu'il rend le tout légèrement flou dans les reflets etc


Mais le film ne repose pas que sur son esthétique, loin de là !


Tout d'abord on se retrouve avec un couple de flics parfait. Alternant entre moments physiques plein de tension et purs moments entre potes plein d'humour. Le film n'est pas un buddy movie à proprement parlé dans le sens ou les deux potes se ressemblent fortement. Popeye est plus réactif, plus bourru et toujours à la limite tandis que Cloudy est plus réfléchi tout en étant là quand il faut cogner un dealer. Ils se comprennent, s'épaulent et s'apprécient. Ces deux personnages sont joués par deux monstres en pleine possession de leurs moyens; Hackman est parfait et Scheider a toujours la grande classe. C'est un couple très équilibré détesté par leur hiérarchie et leurs collègues mais efficace et nécessaire à cette police.


La mise en scène est d'une immersion et d'une intelligence folle. Les filatures sont longues et détaillées mais tellement rythmées et réalistes qu'elles en deviennent passionnantes. L'idée de rendre les discussions inaudibles quand un flic n'est pas a proximité est absolument géniale et finalement tellement banale car réaliste. Le spectateur est à la place de ces flics et cette immersion est encore plus prenante lors de la célèbre course poursuite. A travers des plans en voiture à l'intérieur et au raz du sol, des accidents plus vrais que nature, des regards de passants réalistes, des plans à travers les rails du métro (ça fait son effet), Friedkin nous prend de force par le bras et nous jette dans cette course poursuite au rythme haletant dont on ressort le souffle court.


Mais cette exceptionnelle séquence de poursuite commence bien plus tôt que les passages en voiture. Dès la scène du sniper on est bouche bée. On ne s'y attend pas et là bim bam boum, un mort (et pas n’importe quel mort, c'est d'une violence rare). On se met à l'abri, on se protège, ça tire, on longe les murs, on observe. C'est d'une maitrise parfaite.


Il est vrai que la première partie du film est plus faible, surtout quand on voit cette scène de poursuite dans la seconde, mais elle est nécessaire pour introduire les personnages et surtout pour construire une vraie enquête. Cette recherche d'authenticité dans les investigations est totalement réussie. Des premières filatures à deux aux plus importantes à cinq-six policiers jusqu'au désossement de la voiture. On retiendra aussi cette scène de fin de filature dans le métro ou l'on constate que Popeye n'est définitivement pas quelqu’un de patient et réfléchi et surtout qu'il n'est absolument pas discret.


Le film finit par une fusillade des plus réussie. Cette fin a effectivement, et sans aucuns doutes, inspirée fortement celle de We Own The Night de J. Gray tout en étant beaucoup plus noire et pessimiste que cette dernière. Ce coup de feu final fait référence au fait que l'on ai jamais su ce qu'était devenu le big boss mais également à la destruction progressive de Popeye qui finit par se perdre dans un labyrinthe de destruction macabre. Un entrepôt désaffecté ou s'entasse tous les débris d'une existence passée.


Plusieurs films de Gray transpirent French Connection, le plan d'intro de The Yards dans le métro où Walhberg est assailli de regards suspicieux de la part d'un policier m'a tout de suite fait penser à celui du policier qui questionne du regard le sniper venu se réfugier dans le métro. Un métro élément essentiel des deux films d'ailleurs. Tout comme l'atmosphère urbaine; des avenues riches aux quartiers pauvres et délabrés. Le film respire Brooklyn, transpire Brooklyn, sent Brooklyn.


Un très grand polar urbain et une grande histoire d'hommes.

Edouard_Laire
9
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le 29 mars 2015

Critique lue 506 fois

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Edouard_Laire

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