Malgré un réalisateur brésilo-français et une action qui se déroule successivement au Kenya, en Tanzanie, en Zambie et au Malawi, Gabriel et la Montagne n'est pas forcément un film très original par son sujet. En particulier, il ressemble de manière frappante au célèbre Into the Wild. Deux trajectoires (véridiques) de jeunes étudiants qui décident de tout quitter pour vivre quelque chose de plus "réel". Le plus récent se distingue tout de même en faisant jouer les protagonistes de l'action dont est tirée de le film, quelques années après - autant que possible : le personnage principal est mort décédé ... Mais ce n'est pas tellement sur la forme que Gabriel et la Montagne est intéressant. Si Into the Wild questionne avant tout le matérialisme, Gabriel et la Montagne a surtout suscité chez moi une réflexion rare et bienvenue sur le tourisme.


"- Qu'est-ce que tu fais à Zanzibar ?
- Question difficile ..."


Ce qui frappe d'abord, c'est ce visage de poupon blanc (les vrais photos montrent un Gabriel beaucoup plus mature physiquement) qui complète une tenue de tissus multicolores noués autour du corps, entouré de maasaïs dont il prétend partager la vie et la comprendre. Et pour cette raison, il refuse le qualificatif de touriste. Est-ce que ce n'est pas le propre d'un touriste que d'aller dans un lieu étranger pour se familiariser avec un autre mode de vie (ou une autre nature, etc.) ?


"J'ai déjà fait beaucoup de montagne"


Par dessus le marché, Gabriel prétend connaître. Il va d'expérience en expérience avec beaucoup d'assurance, aussi nécessaire que factice. Mais à force de chercher à s’affranchir des règles sans questionner leurs raisons d'être, il se met en danger "lui et les autres sauveteurs qui iront le chercher de nuit". Finalement, il a simplement négligé de respecter les règles de base de la randonnée de haute montagne...


"Reste-là, prends la photo !"


Il cherche la différence en empruntant des sentiers non-balisés. Avec beaucoup de succès puisqu'il parvient par exemple à être hébergé dans un village maasai. Il "vit comme un local". Sauf qu'il y a un rapport de client à prestataire qu'on ne peut jamais effacer (surtout quand le client est radin), et un rapport d'homme riche (suffisamment pour se permettre d'arrêter de travailler pendant un an en tout cas) à homme pauvre.


"Je suis pressé, je dois monter la montagne, la redescendre, et être en Zambie ce soir !"


Gabriel, homme pressé, homme venu d'ailleurs en quête d'exotisme et de vérité, veut tout voir, tout essayer, et en particulier tous les sites "3 étoiles" de son lonely planet. Comment alors prendre au sérieux sa prétention de vivre comme un local ?


"Je veux monter sur un éléphant aujourd'hui !"


Paradoxalement, Chris, sa petite amie qui lui rend visite lors d'une étape, s'avère être une interlocutrice beaucoup plus agréable pour pour les tanzaniens. Conscient de sa qualité de touriste, elle accepte de suivre les circuits qui sont tracés pour elle : la porte arabe, le safari, les éléphants, le restaurant en bord de mer, ... Ses caprices (parce que ce sont des caprices) sont prévisibles. Lui refuse de jouer le jeu et prétend mettre au jour une vérité qui se trouverait masqué par ce balisage.


"Je pense à lui tous les jours, c'est mon seul client qui est monté et qui est mort."


Surtout, on peut qualifier Gabriel de naïf, de candide, d'innocent, de bon-vivant, mais la réalité est qu'il s'impose aux autres. Cela se passe merveilleusement bien chez les maasais, ou très mal durant le safari. Et par ses actes, il oblige les autres à prendre sur eux. Homme blanc perdu dans la montagne, il mobilisera finalement toute l'attention sur lui pendant 19 jours (avec avions et tout le tintouin) jusqu'à ce que son corps soit retrouvé.


"La trace tu l'as laissée
On va pas l'oublier"


J'ai vu le film en présence du réalisateur, qui nous a un peu raconté la genèse du projet et transmis une certaine admiration pour Gabriel, ainsi qu'une rancœur tenace envers le dernier guide qu'il a croisé avant de se perdre. Il est étonnant de voir le décalage entre le discours du réalisateur et les failles, les contradictions ou du moins les ambiguïtés et les limites du projet poursuivi par Gabriel qui apparaissent à travers le film. C'est peut-être par respect pour un ami décédé il y a finalement pas si longtemps, et pour sa famille qui a participé à la réalisation du film. En tout cas, on ne peut pas reprocher au film de ne pas chercher une vérité (et là, l'intervention des protagonistes réels prend tout son sens). Une vérité extrêmement nécessaire puisque c'est la manière de faire du tourisme de manière constructive et respectueuse qui est en jeu. Le tourisme est un vecteur magnifique d'intégration des peuples et de transfert de richesse. Quand il est fait avec justesse et humilité, il est beau. Malheureusement, on n'a jamais entendu parler de quelqu'un qui aurait trouvé la recette miracle - et on comprendrait son silence d'ailleurs -. Donc félicitation à Gabriel et au réalisateur pour mettre en lumière toute la complexité de la question !

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le 30 août 2017

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