Ghost in the Shell
7.7
Ghost in the Shell

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1995)

Vous aussi l’avez vécu une fois, être seul dans la salle de ciné. C’est comme être seul au monde.

1995, j’ai 12 ans et un modem 56k, un compte caramail et un forfait wanadoo 30H/mois et dans le monde pré-11 septembre, la génération Club Do n’a pas encore entendu les mots « hacker » ni « attentat » au JT de 20H.

D’abord une chute. La femme nue et diaphane, saute du haut d’un immeuble comme pour en finir. Saisit le bref instant d’un flottement, le temps s’immobilise et elle disparaît comme un pur esprit, invisible. Mais après le silence religieux du saut de la foi, se déchaine soudain les rafales de l’enfer. Mitraillette, massacre. Fluidité de l’animation, stupéfaction. Générique.
Une gènese anatomique, aux chants liturgiques traditionnels déchirants de contraste avec la manufacture en série de notre cyborg spectral.

Section 6. Projet 2501.
Assassinats politiques, unités antiterroristes impuissantes, traque. Tous partent à la recherche d’un terroriste insaisissable. La trame est simple. Mais l’innommable virus est un Frankenstein numérique révolté. L’ennemi n’a pas de visage, le McGuffin 2.0 déborde le hors champs, et contamine les âmes elles même.

L’entreprise terroriste du dénommé ´Puppet Master’ préfigure les recrutements Isis. Cibler la mémoire, inventer un idéal, infiltrer les fantasmes de ses victimes, et pousser ses pions matrixés, puis les manipuler une fois leur principe même de réalité piraté. Dans une séquence troublante, triste reprise de conscience, un éboueur interpelé pour complicité d’attentat, subit un violent choc psychique, choc de decompensenation.

Ses larmes lorsqu’il découvre que la photo dans son portefeuille, où il pose avec sa femme et sa fille, n'est qu'une photo de son chien.


Car non, elles n’existent pas, sa famille, sa vie : ses souvenirs sont synthétiques. Chez Oshii, des humains hackés fantasment la vie d’un autre tandis que les androïdes de K. Dick, eux, ne rêvent plus de moutons électriques mais d’anarchisme radical.

La conscience du terroriste s’incarnera finalement, le temps d’une brève confrontation dans le monde physique. D'une voix d’adolescent, le « Puppett Master » s’exprime a travers un corps féminin de synthèse à la beauté virginale, buste à demi arraché, comme un d’Ève deracinée et jetée hors d’un éden virtuel.

Iel clame sa nature de conscience étendue, se réclame des droits de l'homme. Un statut impensable pour une entité numérique.


Et questionne l'éthique de ses créateurs, décidés à le détruire, parceque hors de contrôle, parceque sa nature de prométhée voleur de feu olympien déclasse toute notre espèce. Histoire ancienne, leçon imprimée dans nos gènes reptiliens, tout ce qui est différent est dangereux. Toute déviation de la norme sera puni à moins qu’elle ne soit exploitable.

Au cœur du film Oshii offre une parenthèse hors de l’univers techno décoratif du cyber punk.
Un des plus beau plan du mystère absolu, celui de la conscience de soi, illustré au cinéma depuis Persona de Bergman : sur l’écran découpé horizontalement par une composition d’une symétrie parfaite, l’entité synthétique s’adonne à la plongée sous marin comme pour éprouver sa propre existence charnelle. Court circuit des opposés, matières et couleurs comme motif d’une dichotomie essentielle, mécanique et aquatique se mélange sans fatalité, notre héroïne se laisse remonter vers son reflet en surface, la où les froides ténèbres bleutées des profondeurs viennent épouser les tons chauds d’un crépuscule doré. Encore une chute mais inversée, envol des profondeurs, verticalité de la dignité d’être soi, quelque soi le vaisseau. Effleurement aquatique et symétrique du cadre, géométrie de l’insoutenable légèreté de l’être.

Elle, c’est Motoko Kusanagi, interprétée par la fascinante Tania Torrens (la doubleuse attitrée d’une autre badass culte, Sigourney Weaver) qui avec sa voix sévère mais sensuelle, délivre les meditations métaphysiques d'une René Descartes métallique en décapsulant une bière.

Troisième acte opératique, car il faut bien finir et on attend le climax de la confrontation façon blade runner, la machine contre la machine. La tragédie sacrificielle traditionnelle s’achève par

la mort du major.

Une disloquation de bras saisissante, la force contre la force, la guerre ou le triomphe de la volonté du major arrache sa survie à un tank augmenté conçu comme un cauchemar d’IA militaro-industriel.

Une salve de balle qui crible un des bas reliefs d'un musée à l’abandon, théâtre du sororicide final, figurant un arbre de l’évolution des espèce.


Violence métaphorique : Darwin est assassiné. Prophétie de la vie artificielle, comme prochain stade inéluctable du cycle cruel de l’évolution naturelle qui fini.

```Le corps détruit, l’entité lui propose de fusionner leurs âmes, seul espoir de survie pour elle. Fade to black.

Le major est sauvé par
```
son loyal partenaire Bato, invraisemblable de charisme grâce à la douceur cynique de sa voix, celle du doubleur attitré d’Arnold Schwarzenegger, ou quand terminator devient encore ange gardien par la magie de la VF d’avant les années 2000.

On le sait, en Orient, la mort n’existe pas, il n’ya que des renaissances.

Notre Major a été uploadée dans le corps d’une petite fille en robe noire, comme endeuillée de sa raison d'être militaire.


Une clochette retentit comme dans un monastère zen, lorsque le temps de la méditation est achevé. La musique de Kenji Kawai s’élève et c’est le retour du thème du générique, qui déroulait le étapes industrielles de la fabrication des cyborgs, avec un chœur religieux de voix stridentes, qui résonne comme une complainte, presque de pleurs d'enfants.

Déprogrammée, face à Tokyo et son réseau urbain à perte d’horizon à ses pieds, elle contemple un futur offert, mais incertain. Fini les forces de l’ordre, évitée la tentation terroriste de la punition des innocents, alors quoi?

"""
Telle une Alice réincarnée prête à partir à la rencontre du Chat du Cheshire, elle lâche : « Le net est vaste et infini ». Le requiem mélancolique s'achève et l'aventure du libre arbitre commence pour Kusanagi.
""" Ce plan final contemplatif, au de large du bien et du mal, de l’espoir et du désespoir invité à repenser à à Romain Rolland. Il invente en 1927 une expression dans une lettre à son ami Sigmund Freud, où il décrit ce qu’il appelle le « sentiment océanique » : la sensation de ne faire qu'un avec l’univers.

Comme au cinéma.

Créée

le 6 sept. 2021

Modifiée

le 14 déc. 2023

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forêt fantôme

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