La fin des cours, la fin d'un monde aussi. Ce film aborde les changements qui suivent la fin du lycée pour ces deux amies qui ne semblent liées que par leur rejet commun du reste du monde, d'autant plus que ce que le film montre, c'est que leur projet de vivre et de continuer leur chemin ensemble une fois l'été passé tombe vite à l'eau. En effet, elles n'ont pas les mêmes choses en tête, et puis finalement, dans la vie, rien ne se prévoit. Ce sera d'ailleurs l'une des interprétations possible de la fin du film : embrasser l'inconnu, improviser.
D'abord Enid doit prendre un cours d'art estival pour obtenir son diplôme, puis elle peine à garder un job. Elle ne semble pas prête à entrer dans ce monde qu'elle perçoit toujours comme très monotone et décevant. Et si au départ, on croit que Becca partage cet avis, on se rendre vite compte qu'elle s'adapte et se prépare beaucoup plus facilement à l'entrée dans la vie d'adulte indépendante alors que ses réactions face aux adultes plus âgés restent paradoxalement assez immatures. On sent donc la complicité des deux amies fragile.
Enid, quant à elle, est plus ouverte à l'idée de découvrir ce qui se cache derrière l'apparence de chacun. On s'en aperçoit lorsqu'elle aborde Norman, seul sur son banc, symbole de ce qui l'effraie : attendre sans but, tel qu'elle semble d'ores et déjà le faire.
Mais c'est surtout lors de sa rencontre avec Seymour que l'on découvre une grande sensibilité chez elle. Elle ne pense pas en fonction des "règles" établies par la société, ce n'est pas qu'elle essaie de s'y opposer par rébellion ni par envie d'être punk - comme le lui reprochera l'un des personnages ; elle y est tout simplement indifférente. C'est ainsi qu'elle entame une relation saine et intéressante avec ce grand collectionneur de vinyles et autres perles du passé. En fait, ils ont en commun cette difficulté - si c'en est une - à se détacher du passé, de ce qui les a marqués, de cette illusion de ce qu'a pu être le monde avant leur propre existence.
Cette relation est aussi ce qu'il y a de plus authentique dans la vie d'Enid, et c'est là que le titre du film prend tout son sens : comme je le disais, son amitié avec Becca est fragile, viennent s'ajouter à cela sa relation distante avec son père, son incapacité à créer un véritable lien avec Josh, sa professeur d'art dont l'affection semble fausse, et Norman qui apparaît comme un fantôme au sens littéral du terme. Tous ces personnages sont une représentation à l'échelle individuelle de ce qu'est notre monde et donc de ce que refuse Enid : une somme d'individus qui ne se côtoient qu'en surface.
Mais cette relation n'est apparemment pas l'idée qu'a Enid de son futur, à supposer qu'elle en ait une. C'est ici que j'évoquerai ma seconde interprétation de la fin, qui m'est apparue à la lecture d'autres critiques : n'ayant aucune autre direction, ou encore ne sachant pas choisir une direction parmi les trop nombreuses possibilités qui s'offrent à elle, Enid décide de prendre ce bus pour nulle part, ce bus pour le désespoir, voire la mort ?
L'optimiste en moi a tendance à préférer ma première idée de la fin, l'idée d'un nouveau départ, qui nécessiterait malheureusement d'enterrer son passé, mais qui offrirait en retour une perception plus lucide de l'avenir. Quoiqu'il en soit, je trouve ce film intelligent dans sa construction et dans l'atmosphère de désillusion, d'errance et de doute qu'il transmet.