- Je suis là !! Je suis Godzilla !!! - Et alors ? - Euh... ben, rien.

Ces dernières années, Hollywood s'est spécialisé dans une activité assez déconcertante : la production de blockbusters qui semblent volontairement, professionnellement mal écrits, suivie généralement de la création de bandes-annonces fabuleusement enthousiasmantes (comme le teaser du présent film, par exemple). Oui-oui, ça en devient presque scientifique. De ce fait, étant donné la conjoncture économique désastreuse, plus le paquet de thunes investi dans un film est monumental (moyenne = 100 000 000 ?), plus on en veut aux nantis censément éduqués (ou pas ?) de nous imposer la médiocrité. L'année dernière a été riche, dans le genre : toutes proportions gardées, on citera Man of Steel, After Earth, Pacific Rim, The Wolverine, Elysium, et dans une moindre mesure, Iron Man 3, Oblivion (là, on va me taper dessus), ou encore World War Z... Star Trek Into Darkness étant peut-être le seul rescapé. Cela n'empêchait pas d'apprécier les qualités (sur le plan technique et des performances, donc) de quelques uns de ces films qui parvenaient malgré tout à satisfaire, si l'on omettait la déception initiale (Man of Steel, Oblivion)... mais bon. Des personnages étoffés, des scènes originales (plutôt que de l'archi-revu dans le genre catastrophe), un propos substantiel, et une certaine imprévisibilité seraient-ils trop demandés ?


Godzilla 2014 faisait saliver. Un relifting total du mythe réalisé par un artisan indé de talent (Monsters était quand même impressionnant, pour son budget) plutôt qu'un tâcheron de studios, et semblant se situer à mille lieues de la pathétique version d'Emmerich (98) pour se rapprocher justement de la marque originale ? Quand le teaser cité plus haut est sorti, avec sa chute opérationnelle (HALO jump) à travers des cieux crépusculaires et tourmentés sur les cultissimes Chœurs de Ligeti (2001, l'Odyssée de l'Espace), la salive a trempé le haut du maillot. Non seulement le film allait faire oublier les bisous-bisous mongoloïdes du premier remake hollywoodien, en plus, il allait être une tuerie esthétique (chaque semi-apparition du monstre était tout aussi formidable).


Que tu dis !, comme dit en VF Simon Grüber dans Die Hard 3 (référence totalement gratuite). On en arrive à la place du film dans le phénomène précité : son trailer était une entreprise de mystification exceptionnelle.


[Ah, non, petit apparté au rayon positif : alors que les musiques utilisées dans les BA ne se retrouvent généralement jamais dans les films - à notre grand regret (raison de plus d'aimer celle de The Girl with a Dragon Tattoo !) -, la scène du HALO jump sera bel et bien, dans le film, associée aux Chœurs de Ligeti. Un lot de consolation comme un autre, à un stade du film où le spectateur médusé n'attendait plus grand chose...]


Tout les griefs de votre serviteur tourneront autour d'une chose : le rôle de Godzilla dans le film. L'atmosphère grave et inéluctable du teaser mais aussi des BA, conjuguée à la volonté affirmée du cinéaste de revenir aux fondamentaux, laissait penser que Godzilla serait le seul monstre dans l'arène, et que le film concentrerait son inspiration sur l'impuissance de l'humanité face à la démesurée créature, sorte de retour de manivelle karmique, et d'allégorie de la nature qu'en-a-rien-à-foutre-de-nous.


Ça, c'était le fantasme. Et voici la réalité : d'abord, first news, deux monstres titanesques sortent de leur boîte pour les besoins du scénario, des MUTO, sortes de gros insectes aux yeux lumineux (pas cliché du tout et super-logique) et aux pattes improbables. On se demande pourquoi ils n'apparaissaient pas dans les trailers (on en voit deux morceaux fugaces dans le dernier), mais ça ne fait rien. Ensuite, ou plutôt de fait, rien du sentiment d'impuissance côté humain et de l'allégorie naturelle espérée (essence du Gojira original) ne se retrouveront dans le film, pour la simple et bonne raison que Gareth Edwards semble avoir concentré toute son attention sur la baston entre Godzilla et les MUTO, laissant l'humanité de côté, sur la touche, réduite à brailler et vider leurs chargeurs (rires) pendant des scènes de destruction souvent fort bien fichues, mais qui finissent par saouler par leur quantité. Cela se ressent douloureusement dans la qualité des personnages, écrasés sous cette avalanche furibarde et vidéogamesque : ni le père endeuillé parano Brody (Cranston, un peu émasculé), ni son fiston militaire (Taylor-Johnson, pas la carrure), ni la jeune épouse du fiston infirmière (hohoho)(Elizabeth Olsen, jolie et juste, mais un peu inutile), ni la caricature de scientifique japonais ("Général, ne faîtes pas ça, je vous en conjure !")(Watanabe en plein job alimentaire), ni le général aux cheveux blancs (Strathairn criminellement sous-exploité) ne sortiront du lot pour incarner quelque chose de fort. On se fout de la gueule d'Emmerich : la figure père-fils de son Day After Tomorrow était autrement plus intéressante.


Et c'est ça, le truc : avec son découpage automatique résumable à un enchainement inepte de séquences de commentaires pseudo-scientifiques et pseudo-militaires et de scènes de destruction, faisant tanguer le pauvre spectateur entre ennui (toute l'intrigue du missile est totalement bidon) et coups de flippe souvent doublés d'un énervement, Godzilla version 2014 se situe davantage au niveau qualitatif des mauvais Emmerich (Godzilla, 2012) qu'au niveau des Emmerich sympas (Stargate, The Day After Tomorrow). Et encore, les films d'Emmerich, en tout cas de l'âge d'or, avaient au moins un truc pour eux : même nuls, ils étaient toujours amusants (cf. ID4). Là, on ne se marre pas vraiment.


En d'autres termes, une fois passée les premières séquences de mise en place assez réussies et intrigantes (les fausses images d'archives de l'armée sont une excellente idée très bien mise en forme), Godzilla version 2014, devient un genre de Pacific Rim, sans les robots géants. Une des distinctions, jouant en faveur de Del Toro, réalisateur autrement plus expérimenté/doué qu'Edwards au demeurant, étant les ficelles visuelles du spectaculaire : le nombre de fois où les créatures apparaîtront à l'image sans faire le moindre bruit, dans un simple but d'effet facile, alors que le boucan devrait couvrir les kilomètres environnant, dépasse la dizaine. À ce niveau, on se rapproche du "jump scare" des films d'horreur, avec les sautes de violons et le chat noir qui tombe des étagères.


Alors oui, comme le film de Del Toro, Godzilla a de la gueule. On tient là un blockbuster sachant faire usage des outils graphiques dernier cri mis à la disposition de Hollywood. Godzilla bute bien sa mère, et son choc des titans avec les deux bestioles géantes a de la gueule. Outre la scène du HALO jump, la scène du Golden Gate bridge sous la pluie, ou encore celle du tsunami nocturne, impressionnent. Mais l'histoire ne tire quasiment de ces scènes aucun moments originaux, se contentant d'empiler les trucs vus et revus (on pense aux pompiers arrivant à un étage, pour réaliser que l'appartement a disparu... passage totalement pompé sur le Day After Tomorrow d'Emmerich). De toute façon, avec un soldat comme personnage principal (Taylor-Johnson, encore une fois mal casté), on se pose là rayon originalité...


Boum-boum. Voilà. Le bienveillant Godzilla, bienveillant sans doute parce que nippon et végétalien, devient le chef de fil de la lutte anti-MUTO (toute la flotte de guerre US formant un cortège derrière lui) sur les simples gémissements du scientifique japonais ("Général, comprenez-moi, Godzilla n'est PAS notre ennemi !"). Les MUTO sont dangereux puisqu'ils sont méchants, et aiment détruire les immeubles parce que c'est bien connu, le bon sens chez toute créature vivante est d'emprunter les chemins les moins confortables, comme si M.Martin ne prenait pas la peine d'éviter les poubelles ou les parcmètres avec sa Peugeot. À la fin, Godzilla est le sauveur de l'humanité (un peu à la Man of Steel, c'est-à-dire sauveur après avoir fait 500 000 victimes de dommages collatéraux... mais bon, on ne va pas chipoter). On sait, c'était comme ça dans la série de flimes nippons. Mais d'une part, les bestioles ennemies (du type Mothra, Mechagodzilla, Gamera) ne sont pas apparues dès le premier film, faut pas déconner ; ensuite... ça passait mieux (enfin, quand c'était bon, c'est-à-dire rarement !). Avec la stop-motion burlesque de l'époque, et les acteurs de série b du genre. Le comble.


Rien. On attend encore le blockbuster qui osera associer au spectaculaire une véritable histoire (sans forcément un propos, ou un message écolo, juste une histoire d'hommes et de femmes tangibles), et un semblant de nihilisme, comme Zack Snyder a dans une certaine mesure su le faire sur son nourrissant Watchmen. Godzilla version 2014, décevant, irritant, oubliable, n'aura pas aidé.

ScaarAlexander
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le 16 mai 2014

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Scaar_Alexander

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