Attention, cette critique discute de Gone Girl en prenant en compte son twist final.


A défaut d'être un film titanesque, chef-d'oeuvre d'un genre rempli de classiques, Gone Girl est un excellent film, une expérience qui marque par tout un tas de qualités rarement trouvées ailleurs avec tant de profusion. Tout d'abord, on tient là le rapprochement de deux grands réalisateurs : d'un côté David Fincher, de l'autre une inspiration sous-jacente de l'art d'Alfred Hitchcock. Une belle rencontre qui promet non seulement un divertissement d'exception ainsi qu'un film d'auteur marquant.


Alors on met du temps à se projeter dans l'histoire : entre cette histoire de mari violent, les indices laissés mystérieusement et ces faux-semblants dans lesquels on plonge, trop d'informations sont amenées trop rapidement sans qu'on puisse toutes les digérer, ou même les comprendre dans leur contexte. Ce qui permet alors de maintenir l'intérêt n'est autre que la mise en scène plastiquement admirable d'un David Fincher auquel on ne peut plus, vraisemblablement, apprendre grand chose.


Placé maître dans la tension et la manipulation de son public, et outre le fait qu'il continue de nous manipuler pendant plus de deux heures pour quelques petits twists sympathiques, il affiche non seulement un sens du cadrage détonnant (ce n'est pas étonnant, en même temps), mais gère la lumière et la géométrie avec une virtuosité rare : les carreaux des vitraux de chez Ben Affleck et Rosamund Pike sont, par exemple, un objet de fascination à chaque plan. Verts, parfaitement mis en valeur, ils démontrent toute la maîtrise de Fincher au sujet de sa photographie.


Et tandis que l'homme s'amuse avec sa caméra et qu'on le ressent, ressortent des acteurs au sommet de leur art, si ce n'est de leur charisme : Ben Affleck, figure virile d'homme trompé, trahi, trouve ici la posture, la classe, que dis-je, la prestance des acteurs du temps d'Hitchcock : on se croirait face à un genre de star hollywoodienne de l'époque, qui accorderait plus d'importance à l'aura qu'il dégage qu'à la complexité de son jeu. Il affiche toujours ces mêmes expressions qui l'ont rendues célèbres, avec cette classe presque animale en plus, et ce jeu certes rigide mais fort, solide.


Rosamund Pike représente, quand à elle, son exact opposé : pas bien solide, pas bien classe, on la croirait plutôt sortie du Tarantino des années 90 ou début 2000 (un côté Kill Bill pendant le twist final, génialement balancé après une heure de film), voir du Fincher de Seven. Profondément diabolique, le regard fou, possédé, elle traverse l'histoire comme LA révélation du film, dans lequel elle semble s'épanouir à jouer les rôles à contre-emploi, et prouver ainsi au public que plus qu'une actrice de physique, elle peut et sait surtout jouer les rôles complexes, profonds, riches.


Cela, elle le fait admirablement bien et s'en sort haut la main, dépassant le casting entier sans qu'il ne puisse ne serait-ce que rivaliser; seul Ben Affleck la suit de près, prêt à épouser son statut d'acteur charismatique de Gone Girl. Si elle interprète la folie avec un talent inattendu (son regard dans la salle d'interrogatoire est effrayant), Affleck campera son rôle avec une sobriété et une justesse exemplaire. Quoi que Neil Patrick Harris, dans ce rôle de grand névrosé stalker, marquera aussi par son changement abrupt de style d'interprétation, dont on ne reconnaîtra en conclusion que ce sourire narquois qu'il ne peut pas refréner.


Un acteur qu'on suit finalement très peu, et qui prend un semblant d'épaisseur en fin de film, avec un jeu d'inversement des rôles intéressants; chasseuses chassées, homme trahi qui contrôle son ancien amour au point de la forcer à commettre l'irréparable. Une superbe histoire de malaise s'installe entre les deux, jusqu'à conduire à cette scène de coucherie hachée menue proche du Psychose d'Hitchcock, et qui marque autant par son côté très pictural (la colorimétrie est magnifiquement gérée) que par la violence de son montage et le cadrage inventif de ses plans.


En voyant cela, on pouvait naturellement s'attendre à une conclusion à la hauteur des attentes; et c'est là que Gone Girl blesse : bâclé sur sa fin, rapidement expédié, il nous renvoie le couple en statut quo comme s'il fallait esquiver les conclusions prévisibles à la "elle finit en prison/il la tue/il meurt par sa faute/il va en prison puis est exécuté/...", sans que la conclusion de l'enquête ne trouve jamais de logique, de crédibilité.


En voyant Pike raconter son histoire, mener elle-même ses propres interrogatoires, répondre froidement, sans afficher la moindre émotion et tout en méprisant l'inspectrice qui lui tient tête, sûrement que la consultation d'un psychiatre, profiler, comportementaliste n'aurait pas été de trop pour résoudre cette enquête conclue en queue de poisson. Sûrement que la logique de la fin est sacrifiée au profit du propos du film : dans le sens où Pike est devenue une icône médiatique nationale, elle semble avoir atteint le stade de surhomme, et se place de fait comme supérieur aux règles de logique humaines.


Ultime trait de critique, le film se termine sur un plan posé là pour faire réfléchir, et laisse l'impression désagréable d'avoir deux heures d'un excellent film, profond, travaillé, oppressant, angoissant, pour se boucler en une petite demi-heure trop vite expédiée, bâclée. Sûrement qu'il aurait mérité quelques minutes en plus, un quart d'heure ou une demi-heure, pour qu'on puisse enfin dire que Gone Girl est, en plus d'être un grand film, un authentique chef-d'oeuvre. Là, on a tout de même l'un des films les plus proches de ce que pouvait faire Hitchcock de qualitatif, sans pourtant l'égaler ou le surpasser.


A charge de revanche, David.

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le 31 mars 2019

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FloBerne

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