Cette critique résulte d'un MP que j'ai envoyé au réalisateur de ce film en réponse à un message de sa part dans lequel il me demandait quelles étaient les reproches que j'avais à formuler à l'égard du film. J'ai paresseusement réutilisé la plupart des objections que je lui ai adressées, tout en réécrivant le tout et en ajoutant de nouvelles précisions.


Pour ce qui est, en premier lieu, des conditions dans lesquelles j'ai visionné ce film, je me trouvais effectivement au Cinexpérience n°23, il y a quelques jours donc. Je compte expliquer mon sentiment de malaise et de rejet que j'ai eu, et ce malgré la présence fort sympathique du réalisateur lui-même.


Le propos du film me semble devoir être appréhendé et attaqué sous l'angle politique, dans la mesure où il concentre en lui et exprime parfaitement la vision de centre-gauche libéral qui est dominant, du moins dans les classes dirigeantes, et en large part dans les classes moyennes. Ce positionnement politique se manifeste à travers les inflexions principales sur lesquelles je fonde ma critique.
En premier lieu, l'originalité de Good Luck Algeria est mise en défaut par le parti pris qui consiste à suivre le parcours d'un individu,un brave type, confronté à une situation qui met sa position en péril. Des films de ce genre, il en paraît chaque année à la pelle, en particulier lorsqu'il s'agit de retracer le cheminement d'un immigré. Regardez tous les films avec Omar Sy, comme Intouchables ou Samba. Le procédé me semble passablement éculé, et toute la mise en scène s'en ressent : elle est de facture classique, simple, avec beaucoup de gros plans sur le visage des héros, du champ/contre-champ pour les discussions, et sans réelle surprise. Il s'agit de montrer une vie, ou plutôt une anecdote de vie par le prisme d'un personnage-type, l'immigré maghrébin mais dont la vision du monde est occidentale et matérialiste.


Le reste découle logiquement de cela : au fond, il s'agit de la vision d'un immigré certes, mais libéral, individualiste, occidental et sans racines, qui porte sur ses rapports à sa famille française et algérienne. On pourrait alors croire que l'intérêt du film réside dans l'aspect psychologique des personnages, à défaut de voir une expression sociale de leur situation qui est très intéressante (d'ailleurs, la position du métis n'est pas exploitée, ce qui je pense aurait été passionnant à voir ; là le choix de l'acteur Sami Bouajila montre bien le parti pris qui a été fait de prendre un personnage algérien en France). Mais l'aspect psychologique est également expédié, dans la mesure où tous les personnages sont caractérisés par un unique trait de caractère qui est la gentillesse. Cela donne vraiment l'impression d'être dans le cinéma des bons sentiments, avec un bon gars qui a un bon copain, une gentille femme malicieuse, une gentille fifille, un bon papa et une maman aimante. Et à la fin, on voit que le gentil bonhomme, à force de persévérance et grâce au soutien de ses proches (car il aurait été intéressant de vraiment montrer la tension entre le père et le fils, ou le mari et la femme, mais c'est expédié : le père jette l'éponge assez vite, voire dès le début, et la femme ne constitue jamais un obstacle au parcours du héros).


L'impression globale est que je n'ai pas vu un film à part entière, c'est-à-dire soit une tragédie, dans laquelle une vie est transmuée en destin, ou une comédie, mais un entre-deux dans laquelle rien n'est mis en tension. De ce côté-là, je crois que votre film ressemble plus à Rasta Rockett qu'à Rocky, deux films que le réalisateur citait en références. Dans Rocky, on assiste à la difficile intégration d'un immigré et homme de peu qui s'en sort grâce au sport, et dont la condition progresse petit à petit, jusqu'à la transfiguration finale. Là le type est un bourgeois, son univers et sa vie sont creux (c'est un bon papa, un bon fiston, un bon copain, un brave type ; il n'est caractérisé que par sa bonhomie et sa bonne vie de cadre moyen et banal). On a l'impression que malgré les efforts physiques qu'il fait, il n'a pas avancé ni rien. On a l'impression que le film n'est que le prétexte de montrer des anecdotes et des tranches de vie, contrairement à ce que fait Rocky. L'aspect social est très peu présent, il n'intervient que comme retour à la réalité du travail (la banque, l'entreprise, les requins de la finance), mais ne débouche sur rien d'autre et trouve sa résolution sur une quête intimiste et personnelle qui n'est elle-même que très peu développée. Réduire l'intégration au fait de trouver un travail amoindrit la pertinence du film ; quid de l'intégration culturelle, qui ne saurait être identifiée à l'intégration sociale ?


Pour résumer, le film use de bonnes ficelles, mais ne tire pas dessus à fond ; il mélange des veines différentes pour proposer une mixture consensuelle. Je ne veux pas faire de sociologie de comptoir ou quoi, mais ce film va attirer (et a déjà attiré au Cinexpérience) la moyenne bourgeoisie, majoritairement du centre-gauche libéral, qui verra là une belle leçon de vie, celle d'un bon gars qui arrive à réaliser son rêve d'une façon extraordinaire au bout d'un cheminement qui a nécessité ses efforts tout en provoquant des situations rigolotes. Mais je ne vois pas de leçon de vie, j'ai l'impression d'avoir assisté à une petite histoire typique du cinéma actuel.


Je peux avoir l'air d'être dur et arrogant, et après tout c'est sans doute le cas : on sait que le réalisateur a travaillé quatre ans sur son projet, et je ne suis qu'un jeune lambda qui critique son film après l'avoir vu un samedi matin lors d'un événement cinéma. Mais voir une énième fois un film qui traite des mêmes sujets de la même manière devient lassant.

Gepolo
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le 20 mars 2016

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