Ramsès est à la tête d’un cabinet de voyance au cœur du quartier de la Goutte d’Or à Paris, son business peu scrupuleux fonctionne très bien jusqu’à ce qu’un groupe de jeunes s’immisce dans sa vie et bouscule toutes ses certitudes.


Goutte d’Or (Sons of Ramses) est un film qui, malgré l’actualité et la dureté de son propos, parvient à embrasser une certaine poésie. Il pose un regard doux-amer sur la réalité de ce quartier et offre une vision assez inédite de la capitale. Un Paris silencieux et souterrain qui désarçonne le spectateur, mais qui s’enlise rapidement dans une forme de catatonie. En somme, la magie n’opère qu'à moitié.


Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.


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Mot clés : Marginalité - Marabout - Paris - Illusion - Arnaque - Magie - Goutte d'Or


Problématique : Par quels moyens filmiques le réalisateur Clément Cogitore dépeint-il un Paris inhabituel voire surnaturel ?



I. Une marginalité sauvage…


« Sauvage » est un mot âpre, qui doit toutefois s'affranchir de toutes connotations raciales et se borner à sa stricte dénotation : en liberté, imprévisible, en dehors des lois, proche de la nature, refusant toutes formes de domestication. Car, à y regarder de plus près, c'est bien une forme d’animalité que confère le réalisateur à ses personnages et particulièrement à ces « mineurs isolés » tangérois. Ce groupe de jeunes errant dans les rues et les squares de la capitale en essayant de survivre par tous les moyens pour s'extraire de leur condition. Tantôt à la manière de volatiles, ils pénètrent l’appartement de Ramsès par la fenêtre pour semer la zizanie, saccager son domicile et vider son garde-manger avant de se faire chasser par un chien et de « s’envoler » par la fenêtre. Tantôt à la manière de félins, ils se déplacent en meute, rodent et défendent leur territoire, tapis dans l’ombre des jeux pour enfants du parc, avant de sauter sur leur proie. Tantôt à la manière de vautours, ils se jettent sur leur ami mort, ils le « dépècent » pour retrouver le trésor qu’il cache. Je m’arrête ici pour les exemples. Ce que je veux dire par là c’est que le regard que porte le réalisateur, sûrement largement critiquable à bien des égards, confère très peu d’humanité à ces personnages et participe à l’ambiance étrange du long-métrage. Ce groupe n'a aucune prise et ne permet par l'identification du spectateur. Même si au fur et à mesure, le réalisateur humanise ses personnages, notamment lorsqu’on découvre les parents de l’un de ces jeunes ou quand ils sont hébergés par le père de Ramsès. Néanmoins, ce ne sont pas seulement les personnages qui donnent au film sa couleur étrange, ce sont aussi les lieux.



II. …. qui s'immisce dans un Paris calfeutré…


Clément Cogitore admet dans une interview vouer un véritable « amour » pour le quartier de Barbès et on le constate c’est une vision très intimiste de la capitale. Celles et ceux qui ont déjà arpenté les rues des quartiers du Nord de Paris ne s'y tromperont pas, on ne retrouve pas l’agitation, l’énergie, la cacophonie, la foule de ces avenues, même si on la devine. Dès lors, le réalisateur dévie le regard du spectateur, qui perçoit le 18e arrondissement à travers des persiennes. C’est un Paris dépeuplé et éteint qu’offre Cogitore, presque souterrain. Il n’y a qu’à voir les lieux que visitent les personnages : une cave, un parking, un terrain vague, un appartement calfeutré et tamisé, une arrière-boutique. On perçoit la violence à travers des filtres : l’écran d’un téléphone portable, entre les lames d’un volet, à travers un judas d'une porte, derrière une vitre sans tain. Le réalisateur éloigne la violence au profit d’une ambiance mystique et mystérieuse. Cette bulle forme ainsi un cocon qui enferme les personnages et désarçonne les spectateurs.



III. … où s'orchestre un ballet sordide.


Tout au long de sa proposition, le réalisateur nous plonge dans le doute. Voyez plutôt. Le film commence par une vision énigmatique : une pelleteuse qui charrie de la terre sur un chantier puis la déverse jusqu’à noyer la caméra sous les gravats. Le premier sourcil est levé. S'ensuit une scène, bluffante pour les non-initiés (et dans lesquels je m'inclus), où Ramsès fait « parler » les morts. Le second sourcil est levé. Le questionnement est alors lancinant : Ce voyant possède-t-il un véritable don ou bien est-ce une arnaque et si c'est le cas comment fait-il ? Dès lors, comme à un numéro de magie, le public reste pantois devant l'illusion en espérant comprendre. Puis Clément Cogitore révèle, de manière très prosaïque, les coulisses du numéro. C'est donc une arnaque, mes deux sourcils baissent. Je pensais alors naïvement savoir où l’auteur voulait m’emmener, jusqu’à ce que Ramsès, après une illumination (en lien avec la scène d'ouverture), retrouve le corps d’un jeune homme mort sur un chantier. C’est la goutte d’or qui fait déborder le vase (tambour). Alors, durant tout le film nous attendons la révélation du tour, sans jamais qu'il ne vienne. Le spectateur rassuré alors vacille. Il se retrouve alors dans la peau de ces jeunes qui voient en Ramsès un mage capable de retrouver les morts. Mais c’est ici selon moi que le réalisateur ne va pas assez loin dans son idée. Malgré quelques tentatives par le montage qui forme une vraie césure à partir de la vision et donne l’impression d’un goulot d'étranglement au spectateur, malgré les apparitions aux allures surnaturelles et hallucinées comme celle du vigile qui attend debout avec son chien dans la cuisine de Ramsès en pleine nuit, malgré l'apparition du vigile avec son jumeau ; un dédoublement inattendu provoquant davantage le rire que l'incrédulité. L'agencement de ces lieux et de ces personnages donnent alors un ballet sordide en demi-teinte.

Moodeye
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le 11 mars 2023

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