Dans mes recherches sur l'esprit des " evènements " de 1968, en France tout d'abord, mais dont les tenants remontent à la seconde guerre mondiale et au nouvel ordre économique mondial entre "Tiers-Monde" en voie de libération (ou libéralisation comme moment de la libération), le capitalisme d'état et ses succursales pseudo-communistes et ce bon vieux capitalisme "à la papa" entre libéralisme et étatisme, la dialectique ici apportée par la restructuration des pays en guerre après la WW2 et les développements des économies de guerre.
Soit le film de William Klein sur mai 68 à Paris.
Le film montre bien l'engouement des étudiants et leur recherche d'un dialogue avec la rue, les frictions entre des partisans de la révolution immédiate et permanent (socialiste ou situ, certains pro-situ) et les réformistes, posant ainsi cette problématique: les étudiants en étaient pour certains (et les lycéens sont étudiants) à un degré de conscience suffisant pour demander plus que ce que les accords de Grenelle constitueront comme sacrifice nécessaire à la reprise de la machine capitaliste, amenant la reprise du travail après la période de la plus grande grève générale du XXième siècle.
Le film, cependant en se cantonnant à la position d'observation des mouvements estudiantins et des agitations du quartier latin, n'agit qu'en tant que positionnement mythique sur mai 68, comme un zoom sur la réalité d'un mouvement qui n'a d'yeux, comme De Gaulle, que pour les étudiants qui étaient le coeur de la révolution possible, mais pas ses bras ni ses jambes. Les débats et l'organisation, tant au niveau des relations parents/enfants, médecin/stratège/écrivain de tracts/fournisseur alimentaire/gardiens d'enfants, sont par contre exemplaire. On peut voir comme ce mouvement pouvait s'organiser, même si l'UNEF et Cohn Bendit ont la seule part belle ici, avec les comités lycéens. Et le CMDO, les Enragés et situationistes, où sont-ils? Est récupéré qui veut bien comme disait l'autre.
"L'humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste", la sentence sur un tableau dans la Sorbonne apparaît pourtant au moment du combat semi-théorique le plus explicite du film entre réformistes et révolutionnaire en action dans la lutte des classes.
Le film crée bien cette légère euphorie qui apparaît face au spectacle de la vie révolutionnaire, mais il ne représente rien que ce spectacle, et s'il est un film permettant de se lancer sur de telles bases de compréhension d'une possibilité de révolution de la vie quotidienne et de son armature capitaliste, il ne saurait amener qu'à la pratique capitaliste d'une révolution de la jouissance dans l'activité révolutionnaire : le syndrome libéral-libertaire.
Ici , le procédé, dispositif filmique permet cependant en lui-même de passer de cet aspect à l'autre, la capture du réel par l'ascèse, le spectateur qui capte le monde par ses images et les dispose à la vue de ce qui veulent bien les contempler. Les premières scènes montrent clairement qu'il ya prise de vues volées, d'autres suggèrent un accord tacite entre le verso et le recto de la caméra, d'autres encore la simple tolérance d'un appareil d'enregistrement, considéré dès lors pas comme un appareil de surveillance mais de capture de la vie, donc possible mémoire. Entre la matière du film ou les hommes représentés et l'homme qui saisit leurs actions et la mémoire, c'est-à-dire le rapport des hommes à cette matière en vue de l'action, nous en arrivons au moment crucial qui a amener à cette critique, qui suit des problématiques soulevées déjà par certains cinéastes sur l'essence du documentaire: quelle est sa fonction, sa place, ses limites, son rapport avec les hommes?
Ici, nous sommes en face d'un procédé de cristallisation du monde de mai 68 (coté étudiant seulement, le coté ouvrier légèrement approché), dans laquelle Klein se retire de l'image et filme ce qui se passe et lui même investit des lieux en recherche de l'activité. Loin d'être stylisé, le film n'en reste pas moins beau de par ce qu'il montre.
Ici, les scènes avec Cohn-Bendit montre spécifiquement la mise en scène dans la mise en scène, avec un discours correct, dont on verra cependant l'engagement en observant après coup, quand la chouette s'est envolée, le mouvement réel qui l'animait, ou la résignation d'un mouvement qui se pensait flamboyant à l'époque.
Il eut fallu qu'un tel film soit fait pour les émeutes de 2005 en France et comparer ce qui en France semble l'avant-garde de l'activité révolutionnaire dans la société de la consommation telle que décrite par Isou : la jeunesse est le coeur de la révolution de cette période de l'histoire, mais s'il ne reste que le coeur?
Perferic
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le 25 avr. 2014

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