Pourtant peu familier avec l’univers de l’horreur, le cinéma français semble gagner en crédibilité dans le genre. Sans omettre Haute tension (Alexandre Aja, 2003), Sheitan (Kim Chapiron , 2006) ou encore Ils (David Moreau, Xavier Palud , 2006), les effets secondaires du réalisme qu’imposait la Nouvelle Vague sont toujours présents dans notre patrimoine cinématographique. Alors quoi ? Les français sont-ils incapables d’insuffler de la matière dont sont fait les rêves - ici plutôt les cauchemars - dans les représentations faite sur le grand écran ? Je ne mens pas si j’affirme que les films de genre on toujours fait défaut en France, qui peine à produire un film dépourvu de dimension métaphysique très intellectualisant ou d’un discours social ou politique soulevant des problématiques ancré dans un réel d’une époque. Grave témoigne de la possibilité à s’émanciper de cette image et met en perspective son caractère arbitraire, puisque le surnaturel, le mystique finit par faire son entrée avec fracas.
Julia Ducournau met en scène un établissement d’étudiants vétérinaires, dans un campus que rien ne relie au monde extérieur. Justine (Garance Marillier  ) entre en première année dans ce cursus où le bizutage fait rage, organisé par les mentors dont sa sœur fait partie. Les nouveaux sont réduit à l’état d’esclaves, privés de leurs lits et de leur intimité avec un humour grinçant. Justine subit les décisions de ses aînées sans broncher, entre l’agacement et l’amusement avec un soupçon d’indifférence. Pour finir le rite d’initiation, les bizuts sont finalement amenées à manger de la viande crue. Végétarienne depuis un moment, Justine hésite avant de finalement céder confrontée au jugement de sa sœur. L’action éveille en elle quelque chose qui va la pousser à se nourrir de viande humaine.
Ainsi se mêle réalité et surnaturel au sein de l’œuvre, Justine cède à la bestialité, à l’expression du corps de manière littérale. D’abord réduit à l’état d’animal par les doyens de l’établissement, puis par l’irruption du fantastique dans le réel, elle finit ponctuellement par agir comme tel. Il se trouve que ce phénomène se révèle héréditaire, sa sœur possède elle aussi ce penchant pour la viande humaine. La critique intrinsèque de l’oppression des nouveaux arrivants par les aînés et son caractère déshumanisant est presque trop évidente.
Le film impose dés les premières secondes l’ambiance mystérieuse et chaotique qui règne dans sa diégèse, le caractère insalubre du bâtiment dans lequel les étudiants vont dormir et étudier, l’absence de règle morale dont les occupants font preuve et l’incessante débauche qui domine le campus participe à notre inconfort. Certaines scènes introduisent le fantasmagorique dans cet environnement, les premières années, à quatre pattes, suivent les directives des aînées, ces plans invoque l’imaginaire du sectaire et du sacrificiel pour finalement aboutir dans une boîte aménagée, propice à l’expression des corps, royaume de l’alcool et de la sensualité. Justine à cet instant est encore insensible à ces occupations jusqu’à sa transformation. C’est au fil du temps que les pulsions animales vont se manifester, au travers de la performance surprenante de Garance Marillier. Dansant en transe devant son miroir, mangeant le doigt de sa sœur avec appétit, elle incarne avec équilibre la transition entre la femme et l’inhumain tant et si bien qu’on ne sait plus où se trouve la limite. Elle incarne les pulsions avec justesse, et Julia Ducourneau questionne les nôtres par son biais.
Étrangement, l’horreur n’est pas ce qui prédomine dans Grave, outre le peu de représentation du cannibalisme des deux sœurs, l’intérêt réside dans le naturel avec lequel elles font face à leur condition. La vulgarisation du langage propre à la génération des années 1990-2000 vient soutenir la faculté des jeunes filles à s’adapter à des mœurs différentes - autant dans le sein de l’établissement que les occupants renvoie que par leur nouvelle condition biologique – loin de la morale qui régis nos sociétés. On perçoit finalement plus des jeunes filles qui s’amusent, sujettes à des pulsions qu’elles doivent assouvir sans qu’un instant la mise en scène n’illustre une dramatisation exacerbé. Ainsi de l’horrifique découle la légèreté de l’insouciance juvénile. L’image des deux personnages en train d’essayer de pisser debout marque autant les esprits que la jambe à demi dévoré du colocataire de Justine. Cette connivence résume l’alchimie qui découle du film, le sentiment qui en ressort est particulier, on à cette impression que nous suivons des personnages attachants, soumis à des lois atypiques, qui s’effraye où s’en amuse, sans vraiment penser aux conséquences, faisant avec au jour le jour.
Devant l’engouement médiatique, je m’insurge de voir que les critiques ampute du film tout un aspect pour se concentrer uniquement sur la partie horrifique à des vues commerciales. La distribution de sacs à vomi dans certaines sales en Amérique ne manquera pas de faire rire les amateurs du genre devant cette absurdité. Non seulement le film est largement abordable en terme de violence pour qui en a un tant soit peu l’habitude, mais en plus le thème ne m’a pas semblé se focaliser qu’uniquement sur le « trash ». Il est ridicule de le réduire l’état de « film qui m’a fait flipper » comme l’a exprimé Mr. Night Shyamalan et que la compagnie marketing s’est empressé de mettre sur l’affiche.
Grave n’a rien de classique, liberté de la représentation du nu, balancement déstabilisant entre le rire et l’horreur, langage décomplexé, traitement de scénario atypique, bref, finalement Grave concrétise l’idée d’un film d’horreur Français avec les thèmes et les formes qui sont propre au genre. On peut reprocher à la réalisatrice l’absence de parti-pris dans les prises de vue (les idées visuelles sont rares, l’image montre et s’en contente), mais la colorimétrie et les jeux de couleurs finissent par créer une esthétique très agréable et combler ce vide. Le manga Lastman (Bastien Vivès, Balak Michaël Sanlaville), relève aussi de cette mentalité française qui transparaît dans un domaine qui, a priori, n’est pas le nôtre ; cette appropriation des genres représente leur transnationalité et leur non exclusivité. Il est bon de voir que le cinéma français tente d’explorer de nouveaux horizons autre que ce qu’il a majoritairement produit dans ces dernières décennies, des comédies peu convaincantes et des histoires ancrées dans un réalisme très terre à terre souvent dans la recherche grossière de sensibiliser le spectateur, de l’émouvoir.

Basile_Gantelet
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le 28 mars 2017

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Basile Gantelet

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