Le moins que l'on puisse dire c'est que rarement un film plus ou moins affilé au genre horrifique aura bénéficié d'un tel engouement que Grave. À vrai dire, la dernière fois qu'un film de genre (français qui plus est) avait autant fait parler de lui dans nos contrées c'était pour la sortie du très clivant et excellent (selon moi) Martyrs de Pascal Laugier en 2008 et ce, pas pour de bonnes raisons (censure, menace d'interdiction au moins de 18 ans, accusation de fascisme...). Alors qu'à partir du milieu des années 2000 le cinéma de genre français était en pleine ébullition avec des oeuvres à la qualité variable : citons Haute tension, Sheitan, Calvaire (bon ok celui-là est belge) À l'intérieur, Mutants, Frontières, La horde, Livide et donc Martyrs, dont la polémique aura clairement refroidi les producteurs hexagonaux à investir dans le genre et à sortir des sentiers battus.
L'agitation autour du 1er long de Julia Ducournau fait donc plaisir à voir surtout que Grave fait uniquement parler de lui pour ses qualités filmiques et le consensus qui l'entoure est d'autant plus surprenant. Le film réussissant l'exploit d'être apprécié aussi bien par les aficionados du genre (grand prix du Jury et prix de la critique à Gérardmer) que par une certaine presse qui a pourtant l'habitude de prendre le genre de haut (les Inrocks, Télérama, les cahiers du cinéma entre autres) ou par des médias mainstream (Yann Barthès - et sa clique en Stan Smith - en est encore tout retourné).
La question que l'on peut se poser est la suivante : la hype autour de Grave est elle justifiée ?


Oui, mille fois oui. Déjà parce que c'est un bon film, viscéral, audacieux, radical et touchant, mais aussi parce que le cinéma français semble embourbé dans une dichotomie au sein de laquelle les films dits d'auteurs tendent à mettre en scène les mêmes bourgeois dans des salons parisiens et où le cinéma plus populaire produit à la chaine des comédies avec Christian Clavier.
Aussi parce que Grave pulvérise les codes actuels en matière d'horreur (jumpscares putassiers ou torture porn). Vous l'aurez compris, on est ici dans l'esprit bien plus proche d'un It Follows ou de The Witch que d'un Conjuring ou d'un Saw 12. Ce qui prime, c'est l'ambiance, les personnages et le scénario aux thématiques riches et fascinantes, pas les effets de style. Et ça fait un bien fou.


L'histoire met en scène Justine. Jeune fille modèle qui aspire à être vétérinaire, issue d'une famille végétarienne qui lors de son bizutage dans son école va devoir goûter de la viande animale pour la première fois et va y prendre goût. On suivra son évolution et son attrait pour les plaisirs de la chair, au sens propre comme au figuré.


Si son "héroïne" (formidable Garance Marillier) est plus branchée viande animale ou humaine, Julia Ducournau semble quant à elle avoir dévoré les oeuvres de Cronenberg , d'Argento, du Carrie de De Palma ou du Possession de Zulawski, tout en saupoudrant l'ensemble d'un côté pop bienvenu. Elle dirige également avec brio un trio de jeunes acteurs excellents sur des rôles plutôt casses-gueule où il aurait été facile et préjudiciable de tomber dans les clichés (l'intello virginale, la grande-soeur délurée, le copain gay). Les 2nds rôles ne sont pas en reste avec notamment le toujours très bon Laurent Lucas.


À la fois film d'horreur, drame familial intime, comédie adolescente, Grave transcende les genres à tel point que l'on ne sait pas vraiment ce que l'on vient de voir si ce n'est un film jusqu'au-boutiste et parfaitement maîtrisé.
Grave fait partie de ces films qui vous hante longtemps après sa vision et dont la richesse créative nous donne l'incontrôlable envie de le voir, encore et encore, pour lui ouvrir les entrailles et s'en repaître goulûment.


Crossover jouissif, véritable OVNI dans un cinéma français sclérosé, Grave est une incontestable réussite. Le film bénéficiant d'une distribution en salle correcte, chose assez rare dans le genre, il serait regrettable de passer à côté du premier fait d'arme (si l'on met de côté un court métrage et un téléfilm) d'une réalisatrice visiblement très douée.

BenjLocat
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le 21 mars 2017

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Benj Locat

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