Grave par Kahled

C'était cool !

C'est rare que ça m'arrive plusieurs fois dans le même film, mais j'étais littéralement bouche bée devant certaines séquences.
Sinon, je savais d'après ce que j'avais lu ici et là sur le film qu'il avait une inspiration très Cronenberguienne, mais c'est quand même fou à quel point il m'a fait penser à Faux-Semblants:

La relation qu'entretiennent les deux sœurs m'a fait penser à celle des jumeaux dans le film de Cronenberg (et bien que je ne l'avais pas spécialement apprécié à l'époque, plus j'y pense et plus je l'aime, ce qui est peut-être l'un des signes qui caractérisent les grands films, ceux qui murissent et marquent sur long-terme - mais une nouvelle vision s'impose pour le confirmer). Cette relation évolue d'une certaine complicité (même si ça allait au-delà de ça dans Faux-Semblants) à la rupture absolument destructrice avant de retrouver une certaine grâce à la toute fin (et notamment à l'avant avant dernière scène du film qui est limite un copié-collé du final de Faux-Semblants).

Sinon, l'introduction est l'une des scènes que je retiendrais le plus du film : elle est simple, n'est constituée que de quelques plans fixes (et de un ou deux autres pour montrer l'impact de l'accident mais qu'importe) mais le montage est absolument superbe et assez original dans la manière qu'il a de créer un décalage temporel en utilisant le champs/contre-champs :

La voiture apparaît dans le cadre, puis disparaît en hors-champ. Ensuite, contre-champs qui montre l'autre partie de la route, et alors qu'on s'attend à ce que la voiture apparaisse immédiatement dans le cadre pour assurer la continuité entre les deux plans, il y a un décalage assez long qui montre le personnage apparu préalablement dans ce même cadre mystérieusement absent de celui-ci. Puis la voiture qui finalement y apparaît... Avec la suite des événements (suis-je clair pour ceux qui l'ont vu et s'en rappellent ?).

Bref, l'idée de cette introduction, sa narration et sa mise en scène sont vraiment excellentes,la tension y est déjà palpable et elle fait bien partie des scènes qui m'ont justement mis bouche bée.

Pour le reste, ça n'est pas sans défauts. La narration n'est pas toujours fluide et on sent qu'il s'agit d'une première œuvre assez ambitieuse avec toutes les maladresses et défauts que ça implique, notamment des acteurs pas forcément très justes et dont le défaut de jeu pourrait résulter d'une direction d'acteurs pas encore maîtrisée.

Cela étant, le film se révèle être du bel ouvrage d'un point de vue technique (cadre, lumière, photographie, etc.) sans, pour autant, que ce travail très pointilleux techniquement et formellement parlant avec ses images bien léchées ne porte préjudice à l'aspect viscéral du film qui aurait pu être davantage développé. Parce que si la démarche est effectivement ancrée dans la lignée des films de Cronenberg, ça n'a ni le niveau, ni la puissance d'un film comme La Mouche par exemple (pour continuer dans les analogies avec le peu que j'ai vu du cinéaste canadien), qui a de commun avec Grave le fait qu'il montre sans détour, mais en bien plus extrême et avec plus de radicalité (encore une fois), le corps humain dans toute sa faiblesse et sa vulnérabilité. Par ailleurs, l'idée de chair humaine/animale qu'on utilise, manipule, et maltraite est aussi présente dans les deux films.

Une dernière chose, histoire de finir sur une note positive : la BO, malgré son utilisation parfois un peu poseuse, grossière et sure de ses effets, est absolument superbe, que ce soit la musique originale très instrumentale/orchestrale (j'ai des notions musicales limitées donc je ne sais pas si ça se dit, mais là encore, qu'importe) ou les titres utilisés, et notamment ce superbe titre à la fin du film qui confère, dans son utilisation, une poésie très particulière à la scène où le campus universitaire se réveille avec les étudiants encore emmitouflés dans leurs draps.

Quand je vois qu'en France, on est encore capable de faire ce genre de films (aussi rares soient-ils et malgré leurs défauts et le fait qu'ils puissent être bancales), je me dis qu'au fond, tout n'est pas tout à fait perdu pour notre cinéma national. J'ai bon espoir que cette Julia Ducournau fasse des choses vraiment très belles par la suite.