Chef d'oeuvre technique oui, narratif, non.

A la découverte de la bande-annonce dans les salles obscrures, j'avoue que j'attendais beaucoup de ce film : une sorte de huit clos d'une heure et demie, où les personnages nous seraient dévoilés et évolueraient uniquement à travers le dialogue. En somme, un film à effets spéciaux permettant de mettre l'accent sur la solitude. Mais aussi et surtout un film de dialogues, où la parole seule est moteur de l'action.

Déception.

Pas sur le plan technique, où le film est un chef d'oeuvre indéniable. Le plan séquence de quinze minutes au début du film est fluide et donne une sensation de réel incroyable (le passage de l'espace à l'intérieur du casque de Bullock, une merveille). La 3D est trés bien exploitée et joue son rôle dans la volonté d'immersion du spectateur.

Cependant, si le début du film est trés bien mené (dialogues sensiblement authentiques entre les astronautes, amorcement de la relation entre Clooney et Bullock), on retombe trés rapidement dans les codes des blockbusters-survivals : un enchaînement de péripéties, et de scènes de pathos. Si bien que plus le film avançait, moins je ressentais d'empathie pour cette femme. Le scènes de tension s'accumulent sans laisser au spectateur le temps d'espérer que l'épopée est finie (à ce propos, la scène d'entrée dans la station russe aurait pu être trés réussie si le danger n'était pas immédiatement réintroduit par le début d'incendie). Si bien qu'au bout d'un moment, on prend de la distance avec le film en voyant ses ficelles : la station spatiale d'origine explose (1er refuge vain), puis la station russe (2e refuge vain), la station chinoise (3e refuge que l'on croit être son dernier tombeau) puis le cockpit qui arrivera sur terre. Si la première déconvenue était une surprise, au bout de la deuxième, on sent que l'on devra faire face à un enchaînement qui aboutira forcément à la survie mais au bout de nombreuses pertes. Le schéma classique des blockbusters et des survivals horrors.

En parlant de ces codes, était-ce nécessaire que la protagoniste ait perdu sa fille ? Si le film avait la prétention de fournir une réflexion "métaphysique" sur le rapport de l'invidu à la mort, pourquoi ne pas choisir un individu lambda ? Personnalisé par des détails de vie qui lui sont propres, certes, mais qui permettent l'identification. Toute réflexion est avortée et au final, ce qui aurait pu être un déclencheur de réflexion n'est plus qu'une énième histoire, typiquement américaine, d'un être ayant vécu un traumatisme et qui s'en sort brillamment malgré des moments de découragement. Et le plan final... était-ce nécessaire d'injecter autant d'épique ? Même la fin de The Descent m'avait semblée plus réaliste, plus touchante. Dommage de basculer de la sensation de réel première au visionnage classique d'un film catastrophe du samedi après-midi. .

Comparer ce film à 2001, l'Odyssée de l'espace ? Non. Non et encore non. Au niveau technique, certes. A la même époque, Kubrick réalisait une prouesse incroyable en dépeignant de cette manière les stations spatiales. La pensée nietzschéenne était admirablement illustrée, l'hermétisme du film et la sensation d'ennui profond du visionnage (soyons honnêtes) poussaient au final à la réflexion. Parce que l'on sent, au générique, que le film cache un sens qui nous échappe, mais qu'il y'a dans ce film un message de fond. Ce n'est pas le cas dans Gravity.

Admettons que le film ait eu cette prétention, on peut retrouver les différentes étapes du deuil :
- Choc/déni : propulsion dans l'espace, elle tente désespement de retourner à la station spatiale d'origine qui représentait une "relative stabilité" (n'oublions pas que nous nous trouvons dans l'espace, lieu de la perte de repères) puis volonté féroce d'aller chercher Clooney, condamné.
- Colère : dans le cockpit, au moment où elle réalise qu'il n'est plus en état de marche et qu'elle est condamnée à la mort malgré ses efforts.
- Marchandage : tentative de communication avec la terre, impossible car l'homme ne parle pas sa langue.
- Dépression : la tentative de suicide.
- Acceptation : le retour à la vie, rendu possible grâce à autrui et à la vision de Clooney et plus largement, acceptation de la mort (dans sa particularité, avec sa fille et dans sa globalité, pour elle-même).

Cependant, cette lecture n'a rien d'évidente et de spontanée. Elle ne ressort que lorsque, après visionnage, vous tentez de donner un sens plus profond au film. Pour citer l'excellent Prisoners, la réflexion éthique s'engage au cours du film, de part l'identification aux protagonistes. Ici, ce n'est pas le cas. Les personanges restent trés distants.

En conclusion, un film extrêmement réussi au niveau technique, mais qui reste finalement assez vide, aussi bien narrativement qu'au niveau des personnages.
Lucie_Lagarrigu
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le 23 oct. 2013

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