"Grigris", c’est le nom du personnage principal (Souleymane Démé), un prénom "porte bonheur" comme il le dit lui-même. A croire qu’il dit la vérité. Après avoir revendu des bidons d’essences qu’il était censé ramener au trafiquant qui l’employait, seul moyen pour lui d’amasser assez d’argent pour payer les soins hospitalier de son oncle, il est obligé de fuir son village afin d’échapper à une mort certaine, pourchassé par les hommes de main de son employeur. Il se relève toujours de chaque obstacle qu’il rencontre.

Grigris n’est pourtant pas ce qu’on pourrait appeler un "chanceux de la vie". Pour preuve sa jambe atrophiée, la droite, qui lui donne cette démarche si étrange de pantin désarticulé. Malgré ça, c’est un homme fier, bon et tranquille. Son truc à lui, c’est la danse. Si il n’avait pas eu besoin de tout cet argent, jamais il ne se serait embarqué dans telle galère. Il aurait continué à enflammer les pistes de night-club en gagnant quelques billets grâce à son numéro spécial, à mi-chemin entre le hip-hop, la danse classique et le moonwalk de Michael Jackson. Son handicap se transforme alors en atout et Grigris peut s’oublier un peu, ainsi que la misère dont il est entouré.

Ces scènes de danse sont d’ailleurs de loin les plus réussies du film. Dans la nuit sur un toit, dans les clubs ou en plein jour dans une salle de danse improvisée, elles sont toujours fascinantes. Grigris se métamorphose sous nos yeux dans un numéro acrobatique où il se sert de sa jambe morte comme d’un instrument, bougeant les bras à la manière d’ailes d’oiseau, un aigle noir qui aimerait pouvoir s’envoler loin mais qui reste inéluctablement cloué au sol, rappelé à sa triste condition.

C’est grâce à ces talents de danseur qu’il séduit la jolie "Mimi", une jeune franco-tchadienne qui voudrait devenir mannequin, mais qui pour l’instant se prostitue. Leur relation est assez irréaliste, bien qu’assez touchante, comme deux enfants qui jouerait au papa et la maman. Les deux se protègent mutuellement. Elle est beaucoup plus grande que lui mais il est son ange-gardien, elle panse ses plaies, au propre comme au figuré, lorsqu’il en a besoin. Tout les deux sont liés par un rêve commun d’une vie meilleure, lui dans la danse et elle dans le mannequinat, peut-être… Ensemble quoi qu’il arrive. En témoigne cette très belle scène où Grigris tire des rideaux dans l’atelier photo de son oncle, dévoilant une affiche d’île paradisiaque façon carte postale, devant laquelle Mimi va poser pour envoyer ensuite à un casting. Mahamat Saleh Haroun, le réalisateur, est un vrai cinéaste, qui sait faire parler l’image. C’est pourquoi son film ne tombe jamais complètement dans la caricature ou le ridicule, malgré un casting d’acteurs pour la plupart amateurs. Leur leur jeu souvent assez bancal rendant certaines scènes, notamment celles d’amour, assez gênantes.

Reste ce personnage magnétique de danseur possédé, sorte de "derviche tourneur", dont les prestations valent tous les dialogues du monde et qui méritent à elles seules d’aller voir le film.
Moltès
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le 16 juil. 2013

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