La symphonie picturale
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Pas toujours facile d’être à la hauteur de sa réputation. Film le plus cher de l’histoire du cinéma, une durée de presque sept heures (soit deux fois plus que la version de King Vidor, déjà pas un court-métrage), adaptation d’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale... Il est peu dire que le réalisateur-acteur Sergueï Bondartchouk était attendu au tournant lors de la sortie en 1967. Bonne nouvelle : la somme pharaonique dépensée durant les deux ans de tournage se ressent de manière fort positive. Décors immenses et somptueux, costumes aux couleurs resplendissantes, figurants par dizaines de milliers (dont la grande majorité prêtés par l’Armée rouge), des centaines de batteries de canons, vingt-trois tonnes de poudre, amorces et autres fumigènes pour les scènes de bataille...
Nous sommes ici conviés à un spectacle impressionnant, comblant toute l’attente que nous pouvions avoir d’un tel projet. Tout aussi important (voire plus) : Bondartchouk, dans sa volonté de rester le plus proche, le plus fidèle possible au texte originel, a su retrouver l’âme, la profondeur qui rendait le roman si inoubliable, notamment en ce qui concerne les nombreux sujets traités. La mort, l’amour, le sens de la vie, la guerre, l’amitié, l’honneur, la gloire... Il semblait quasiment impossible de les traiter chacun avec autant de talent, c’est pourtant le cas, bien que certains soient logiquement plus mis en avant que d’autres. On touche même parfois au sublime lors de quelques séquences presque oniriques où le réalisateur vient par la puissance des images, la beauté de la lumière, à nous faire ressentir tout le sens de l’oeuvre d’origine.
On pense alors au meilleur de Terrence Malick, aussi bien dans l’éblouissante démarche visuelle que dans la réflexion presque métaphysique, ce qui n’est pas la moindre des qualités. Hélas, le film s’avère inégal à certains niveaux. Nous songeons en particulier à l’interprétation (si Lioudmila Savelieva présente une ressemblance physique troublante avec Audrey Hepburn, la Natacha de Vidor, elle est loin d'avoir son talent), à la musique, légèrement décevante, mais surtout au fait qu’Andreï Bolkonski (plus précisément la première époque, la seconde étant bouleversante) et Pierre Bezoukhov soit un cran en-dessous des autres parties, la première pour son manque de fluidité pour passer de manière cohérente d’une séquence à une autre, la seconde pour sa vision assez primaire de l’armée napoléonienne et de son Empereur, mais aussi un discours légèrement contradictoire quant à l’absurdité de la guerre.
De plus, cette volonté de rester le plus proche possible du roman de 1865 (certains parleront même de fétichisme) a aussi ses limites. Ainsi ce qui fonctionne admirablement en littérature ne réussit pas pour autant au cinéma. Nous pensons notamment à l’omniprésence de la voix-off, parfois efficace, mais trop souvent démonstrative, alourdissant la fluidité d’un propos pourtant aussi émouvant qu’intelligent. Reste que ces 400 minutes nous fascinent souvent, offrant un spectacle et une profondeur d’esprit très supérieurs à la moyenne, ainsi qu’une vision passionnante des différents enjeux historiques et géopolitiques de l’époque. Bref, de l’émotion (la scène du bal de Natacha est filmée avec une grâce et une sensibilité rare), de l’action et de la réflexion : c’est peut-être tout simplement cela, le cinéma.
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Créée
le 3 avr. 2018
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