Hand Soap
Hand Soap

Court-métrage d'animation de Kei Oyama (2008)

Libre, inventive, folle, intime, personnelle… l’animation indépendante japonaise possède un grain qui fait irrémédiablement défaut à la production traditionnelle. Grain d’ailleurs, qui revêt nombre de ses sens dès lors qu’il s’endimanche du tégument confectionné par Kei Oyama, réalisateur de Hand Soap (2008), court-métrage réalisé à même la peau de son auteur.


PEAU D’ÂNE


Les seize minutes d’animation de Hand Soap s’ouvrent en un gros plan sur le visage blême et fermé de son protagoniste, jeune adolescent. Entre chacune de ses bruyantes prises de respiration on entend ce qui pourrait être le babil de ses camarades, balbutiements d’une récréation lointaine. Soudain, le visage de notre pré-adolescent tend à s’ouvrir et alors qu’il tentait l’esquisse d’un sourire… Splash ! Du bruit jaillit une gerbe rougeâtre venue maculée la joue du garçon. La caméra prend alors du recul et vient révéler la source de l’onomatopée. On préfère d’abord croire à des tomates, lorsque se dessine plus clairement le mur sur lequel est adossé le petit homme, mais non, c’est à coup de batraciens qu’on le moque. Le malaise déjà s’installe, prend ses aises et emménage dans la foulée à l’intérieur de cette sombre tranche de vie adolescente, logé par un sound-design lynchéen et une technique… hors-norme.


À FLEUR DE PEAU


« J’aime observer les choses de très près. » confie Kei Oyama au Wochi Kochi Magazine avant de poursuivre sur le (très) mince intervalle qu’il aime mettre entre ses yeux et le corps humain, distance à laquelle « les pores de la peau sont visibles. À une telle distance, même la peau des plus jolies filles apparaît grotesque (ou parfois très belle). Cuticules, croûtes, acné et boutons changent constamment et disparaissent rapidement, ils sont donc pour moi particulièrement intéressants. » Pas étonnant donc que le cinéaste ait fait de sa propre peau la ressource première de Hand Soap, scannant celle-ci pour la prêter à ses personnages. Pellicule organique sur laquelle les difformités grotesques de l’adolescence se font palpables, qui permettra aussi à Oyama de capter intelligemment les gestes, rituels, voire TOC de ses personnages, ce de la traite des joues acnéique du protagoniste à son étrange obsession pour les poignées de porte, en passant par sa manie pour les mains propres.


PEAU-POURRI


L’épiderme, aussi captivant qu’il est suffoquant, a servi la matérialisation de personnages basés sur l’apparence d’individus réels. Ainsi, le pré-adolescent doit ses traits au portrait d’un patient qu’Oyama a trouvé dans un livre de médecine, le père est conçu sur le modèle d’un professeur arrêté pour cause d’attouchements sexuels, tandis que la mère et sa fille prennent pour modèles deux employées de bureau accusées de meurtre. Plus malsain encore, les lèvres du jeune homme sont matérialisées à partir d’un cliché d’organe génital masculin et le savon blanc, dont il se sert à de nombreuses reprises, une photographie de sperme. À aucun moment, spectateur innocent, on ne peut se douter des images triturées qui ont servi la confection de Hand Soap, pourtant à la vue de celles-ci on pressent que ces lèvres, cette pompe à savon ne sont pas exactement ce qu’elles prétendent être, si bien que lorsqu’on se met à creuser on est étonnamment pas plus surpris de découvrir les racines tordues de ces éléments.


PEAU DE CHAGRIN


Malgré tout, notre adolescent ne s’arrêtera pas de rêver proposant quelques scènes hallucinées d’une rare beauté. Parmi celles-ci, la plus marquante me permettra d’évoquer à nouveau Lynch, notamment Eraserhead et sa chanteuse, résidente d’un radiateur. Alors que l’adolescent est couché, des couettes glisse une espèce de trompe dont s’échappe péniblement de larges boules. L’une d’entre-elles, en quête de chaleur, se motive à rouler jusqu’au calorifère, s’y résorbe et laisse derrière elle une flaque dont émergera une rainette-idole emprunte à pousser la chansonnette, rares paroles audibles, qui plus est chorégraphiées, du métrage. Délirant, doux, on sort du ballet de l’amphibien apaisé, touché, les yeux rougis par les néons du convecteur et l’intime prestation. Si bien qu’après avoir tant souffert aux côtés du petit homme, on serait prêt à clamer que Hand Soap est beau, très beau même.


Grand prix au Holland Film Festival et Animated Dreams, meilleur animation au Ann Arbor Festival et l’Imaginaria Film Festival, prix spécial à l’International Film Festival Hiroshima, le Film Festival Award à l’International Short Film Festival Oberhausen… les chanceux jurys qui ont vu défilé Hand Soap ne s’y sont pas trompés en le décorant ainsi. Coupes, fanions et guirlandes qui auront participé à l’aura du court à défaut de le rendre aisément accessible. C’est d’ailleurs pour pallier la piètre distribution des métrages d’animation indépendants japonais que Kei Oyama, Atsushi Wada et Mirai Mizue ont fondé CALF, studio censé apporter un peu de lumières à ces œuvres. Espérons ainsi qu’une fois achevé Hokago (放課後), le prochain court de Kei Oyama, nous parviendra dans les plus brefs délais et les meilleures conditions.


Article publié sur le site Plan Tatami




Hand Soap fait partie des courts-métrages disponibles sur le Blu-ray/DVD : l’Animation Indépendante Japonaise distribué par les Films du Paradoxe.


Lien vers les articles de Kei Oyama pour le Wochi Kochi Magazine : http://www.wochikochi.jp/english/search/result.php?MD=kw

CorentinPtrs
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le 19 août 2016

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