Après une déception qui a l’air générale, les applaudissements se font léger, le film d’ouverture commence. Hardcore Henry de Ilya Naishuller nous promet une heure et demie d’adrénaline et d’action non stop, tout ça en point de vue subjectif. Henry du titre se réveille, sa femme lui vissant sa jambe et un bras bionique, avant de se faire attaquer par des mercenaires dirigés par un méchant mégalomaniaque, que tous les Bond envient, et qui veut bien évidement dominer le monde. Fort de ses promesses sur le papier et dans la BA, le délire de Ilya Naishuller s’ouvre avec un générique magnifique faisant d’actes tous plus horribles les uns que les autres, coups de poings, coups de batte et autre traversée de couteau dans le cou, de véritables tableaux anatomiques au ralenti, prenant ainsi le contre-pied de ce que l’on verra par la suite, c’est-à-dire un enchaînement incessant et entêtant d’actions vidéo-ludiques. Je ne sais plus quel critique attribua ce terme de porno-geek au sublime Sucker Punch de Zack Snyder, mais il l’aurait certainement attribué pour Hardcore Henry. En effet, c’est l’ultime jeu-vidéo live, avec tous ses codes. Le personnage évolue ainsi en niveau avec un objectif précis à réaliser, guidé par une aide extérieure qui est toujours là au bon moment, recharge sa vie grâce à des batteries récupéré sur d’autres corps, ramasse des armes et munitions sur les ennemis, a un kill-count absolument gigantesque, et un boss de fin, tout ça sur une BO qui marque chaque début de niveau par un nouveau titre. Le porno-geek prend également tout son sens dans ce que le réal montre absolument tout, à l’instar de son générique, membre découpé, tête qui explose, impact de balles avec une complaisance telle qu’on ne peut s’’empêcher de relier le long-métrage à ce video-feed constant qui envahit youtube à n’importe quelle heure, avec des décapitations, des explosions, des caméras thermiques de drones et des accidents, le tout sans montage, et sans cadrage.
Hyper actuel, Hardcore Henry se fait alors l’avatar de toutes ces vidéos semi-amateurs qui ont inondés internet ces dernières années, inintéressantes au possible, montés sur de la soupe musicale, ne servant qu’à vendre une marque comme celle au taureau, mais lui le fait avec une certaine qualité de mise en scène, réussissant l’exploit de ne jamais être (trop) brouillon dans les scènes d’actions (en fait LA scène d’action qu’est tout le film), n’ayant surtout jamais la prétention d’en faire plus. Lorsque l’on fait de l’art pour de l’art, on peut très vite être critiqué par l’approche trop esthétisante du produit fini. Malévitch avait d’ailleurs partiellement accepté cette critique, et déclarait d’ailleurs, presque au même moment que Rodtchenko, la mort de la peinture. Ainsi, Hardcore Henry marquerait la mort du cinéma, non pas d’un point de vue péjoratif mais d’un point de vue critique, là ou le suprématisme définit par Malévitch pourrait se résumer dans ses propos “Il faut construire dans le temps et l’espace un système qui ne dépende d’aucune beauté, d’aucune émotion, d’aucun état d’esprit esthétiques et qui soit plutôt le système philosophique de la couleur où se trouvent réalisés les nouveaux progrès de nos représentations, en tant que connaissance.” Le long-métrage de Ilya Naishuller ne serait alors qu’un constat technique et esthétique d’une certaine période, et pourrait très facilement être qualifié de film suprématiste. Il ne marque alors pas forcément la mort du cinéma, mais, et je l’espère, la mort de la caméra embarquée sportive (pour ne toujours pas citer de marque).


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VictorTsaconas
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le 6 avr. 2016

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Victor Tsaconas

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