Hommage et mise en abyme pour "comédie romantique de mœurs" de haute tenue

L'Amour en stéréo est une comédie romantique malicieuse et futée dont le scénariste n'aura étonnamment plus rien fait ensuite (hormis des scenarii de films et de séries pour enfants). D'ailleurs, les deux réalisateurs n'auront pas connu une carrière mirobolante non plus (la mise en abyme n'en est que plus troublante et réussie). C'est d'autant plus étrange que le film est techniquement et mécaniquement irréprochable : le fond et la forme se mariant parfaitement, le dispositif intelligemment pensé et les acteurs en symbiose totale. Une sorte d'alignement des planètes miraculeux à côté duquel tout le monde est passé à l'époque de sa sortie, public comme critique spécialisée, de manière totalement incompréhensible (l'impression de revivre le même questionnement que devant Amos & Andrew). Il y a des films comme ça, en avance ou en retard sur les modes et sur leur époque... Toujours est-il que quelque chose se passe à l'écran. C'est également le cas en coulisses puisque le choix d'employer un réalisateur et une réalisatrice n'est pas anodin. C'est même une mise en abyme intentionnelle de la part des producteurs. Le couple ainsi formé ne se connaissait pas, exactement comme les deux héros du script. Le réalisateur s'occupe de la partie masculine du film, tandis que la réalisatrice s'occupe de la partie féminine. Le scénariste pousse le bouchon jusqu'à s'inspirer des plus grands classiques du genre, des années '30 à '50, faisant de He said, she said un héritier des screwball comedies, résolument anachronique. Pour un film de 1991, c'est assez déroutant. Tout ceci a au moins le mérite d'être original et très inattendu dans ce type de production, d'ordinaire peu enclin à l'originalité. Alors certes, le film n'évite pas les clichés et les écueils de toute comédie romantique des années '90 qui se respecte, mais comme cela semble être carrément voulu et que le scénariste en joue régulièrement, comment lui en tenir rigueur ?

Les hommes viennent de Mars et les femmes viennent de Vénus ; il faut accepter le postulat, l'artifice. Ce que les réalisateurs et leur couple d'acteurs formidables en font, reste le plus emballant. Le couple s'aime et se déteste, et ça fonctionne. Elizabeth Perkins est renversante (quel regard... quel sourire ?!), la mèche de Kevin Bacon virevolte et ondule libre comme le vent (bravo aux coiffeurs). Nathan Lane cabotine et s'éclate visiblement beaucoup. Sharon Stone donne vie à son personnage et fait beaucoup avec le peu que le scénariste lui a offert pour son rôle succinct, on sent bien la grande actrice en devenir (même si on sent aussi une légère tendance à vouloir "voler la vedette"). Ce qui fait également le prix de cette "comédie romantique de mœurs" réside dans le "dispositif" du film ; dans cette idée de revoir certains moments clé de la vie du couple sous deux angles différents (le masculin puis le féminin) car chaque point de vue est amené intelligemment, chaque flashback coule de source, tempéré ou explicable par les psychoses, le caractère et la psychologie de chacun des deux personnages. Dans certaines scènes concernant le héros, le scénariste s'amuse même à intégrer des séquences de rêve et d'hallucination, tournant en dérision ses blocages de "martien" indécrottable et les réalisateurs font le choix gagnant de les filmer au premier degré, sans recours à de quelconques artifices, l'irréel se mêlant au réel de façon naturelle. Tout ceci est non seulement fait avec tendresse mais tous les choix de mise en scène font mouche. A ce titre, He said, she said est très certainement le film que Ridley Scott et sa mauvaise scénariste auraient dû revoir avant de tourner Le Dernier duel ! La bande son, enfin, finit d'ancrer le métrage dans les années '50 et la volonté de réaliser un classique du genre est encore plus prégnante. Autant de choix gagnants, puisque He said, she said pourrait même sembler supérieur à Quand Harry rencontre Sally, auquel beaucoup de spectateurs l'ont injustement comparé, qui souffrait d'une alchimie entre ses deux interprètes avoisinant les températures négatives du cercle polaire.

Torrente
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le 27 août 2022

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