Le Cinéma de genre en France (en particulier le cinéma fantastique et d'horreur) a toujours été handicapé par un système de production qui privilégie avant tout l'industrie à l'art, le divertissement : Entre les chaînes TV produisant des comédies dans l'unique but qu'elles puissent rentrer dans leurs grilles de diffusion et les aides spécialisées toujours plus frileuses, avoir l'occasion de voir un véritable film fantastique/horreur franco-français au Cinéma relève de l'événement pour le spectateur, et du suicide artistique pour le réalisateur...

Malgré de nombreuses tentatives par de jeunes cinéastes aussi sympathiques que le tandem Maury & Bustillo, Xavier Gens ou Alexandre Aja, leurs films gardaient de nombreux défauts un peu trop handicapant pour véritablement convaincre (la narration bordélique des films de Maury & Bustillo, le twist improbable de "Haute Tension", les personnages caricaturaux de "Frontière(s)"), c'est avec une certaine crainte que débarque le film "HORSEHEAD" de Romain Basset, premier film tourné en mode "guérilla" (conçu librement, sans les contraintes liées aux aides à la production) pour la somme dérisoire de 150 000 € !

On aurait pu craindre à la série Z kitsch involontairement drôle à la "Bloody Mallory" ou "Humains" (qui font partie des plus grosses tares qu'on ai osé produire dans le genre en France), et c'est finalement tout l'inverse qui se produit : "HORSEHEAD" est un véritable film de Cinéma, à la photographie magnifique et à la mise en scène viscérale !

Abordant la thématique du rêve lucide, Romain Basset parvient à faire un film qui se tient du début à la fin, sans incohérences, chose évidemment casse gueule lorsque l'on sait qu'il s'agit de son premier film, premier film abordant la notion de voyage dans les rêves/cauchemars de l'héroïne (interprétée par la jeune Lilly-Fleur Pointeaux) et donc possédant une structure scénaristique très différente de celles (plus classique) de la plupart des autres films produits dans l'hexagone et, osons même le dire, bien plus compliqué à raconter. C'est simple, "HORSEHEAD" fait figure de film de genre unique, loin des codes balisés de la plupart des films fantastiques/horreur, tant au niveau de l'image que de ce qu'il raconte !

Jouant habilement sur les symboles archétypaux (le loup, la jument, etc...), la notion d'inconscient collectif et mélangeant le tout avec une intrigue mystérieuse au sein d'une famille cachant un obscur et macabre secret, "HORSEHEAD" ne se montre jamais vraiment ennuyeux, chose que l'on aurait pu craindre sachant que le film se plait à voyager entre les séquences de rêves/cauchemars oniriques et les scènes entre l'héroïne et ses parents plus réalistes, filmées caméra à l'épaule. Mieux même, ces scènes (relevant d'avantage du drame) permettent au spectateur de mieux saisir les enjeux au sein de cette famille, et ce, sans tout paraphraser de manière lourdingue : Le spectateur n'est jamais paumé au sein du récit, et n'est jamais pris par la main non plus !

Aussi fascinant qu'angoissant, parfois répugnant (certaines scènes chocs sont diablement efficaces), la mise en scène très "art & essai" de Romain Basset faite à base d'éclairages hyper contrastées (tels les giallos baroques de Dario Argento) et de plans décadrés ne fait pas dans le racolage clippesque (à quelques scènes près, je suis un peu moins convaincu par certes scènes à la bande-son très "dubstep") et reste avant tout aussi pertinente qu'agréable à regarder.

De plus, il est important de noter que le casting est tout bonnement excellent ! Ayant l'intelligence de tourner le film entièrement en anglais, les dialogues sonnent toujours justes, également grâce à l'interprétation très convaincante des personnages principaux : Lilly-Fleur Pointeaux se donne à corps perdu dans son rôle (je reste très impressionné par certaines scènes contenant un érotisme très troublant).
Idem pour l'ancienne égérie du grand Lucio Fulci, Catriona MacColl qui nous livre un jeu assez impressionnant ! On peut également noter quelques petits clins d'oeils sympathiques au "Poète du Macabre" (surnom de Fulci), notamment à deux de ses chefs d'oeuvres qui sont "L'Au Delà" (la scène de crucifixion) et "Frayeurs" (les larmes en sang de MacColl). On a également droit au charisme de l'acteur/chanteur Murray Head (sans doute le personnage le plus "sain" du récit) et à une petite apparition assez excellente du très sympathique Philippe Nahon, cabotinant avec un plaisir partagé avec le spectateur (que l'on aurait aimé voir un peu plus, cependant).

Avec un aussi petit budget et les thématiques abordées, Romain Basset se rapproche beaucoup du grand cinéaste Mario Bava, véritable génie et artisan dans le Cinéma fantastique italien des 60's/70's (dont les cinéastes Tim Burton et James Wan sont les directs descendants), et qui a réalisé des oeuvres impressionnantes pour des budgets dérisoires : "HORSEHEAD" m'aura fait penser tour à tour à ses chefs d'oeuvres que sont "Lisa et le Diable" et "Les Trois Visages de la Peur" (notamment par sa photo bariolée).

Il me tient à espérer que Romain Basset puisse recevoir une reconnaissance similaire (quoique, Bava n'a été taxé de "génie" qu'après sa mort), car un film aussi maîtrisé que "HORSEHEAD" relève presque du tour de force compte tenu de son statut de premier film, de son budget ridicule, de ses conditions de production et de la précarité du Cinéma de genre hexagonal. Un film à soutenir donc, d'autant plus que l'étiquette "Le meilleur film de genre français de ces 10 dernières années" ne semble plus si mensongère après sa vision...
Rømain__V__Rade
8

Créée

le 10 mars 2015

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20 j'aime

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20

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