Hotel Singapura commence comme il se termine, en boucle, sur la même image dudit hôtel dans un futur apocalyptique, en ruines, abritant des amours interlopes et douteuses. C’est dire si le film tourne en rond, incapable de s’échapper du dispositif dans lequel il s’est laissé enfermer.


Comme la chambre 237 de l’hôtel Overlook d’un certain Stanley K., la chambre 27 de l’hôtel Singapura abrite bien de secrets. Mais dans cette dernière, les râles sont dus à des galipettes qui se suivent et se ressemblent tout au long des décennies. Le film est bâti en sketches, au nombre de 6, tous liés par le lieu, la fameuse chambre 27 donc, et des témoins communs, Imrah, une femme de chambre qui aura dédié toute sa vie à l’endroit, et Damien (Ian Tan), une rock-star singapourienne décédée jadis d’une overdose d’héroïne dans cette même chambre 27 (rock-star ayant réellement existé, et à qui le film est dédié), les deux filant un amour platonique qui traverse le temps et l’espace…


On doit reconnaître à Eric Khoo et son chef opérateur Brian Gothong Tan d’avoir réussi parfaitement à colorer de manière spécifique chacun des épisodes. Ainsi, la première histoire, entre un Britannique en passe de retourner dans son « Angleterre agonisante » au moment de l’invasion du Singapour par le Japon, nous sommes en pleine 2ème guerre mondiale, et son amant chinois, est tournée en noir et blanc, aussi bien pour rendre compte de l’époque, que pour traduire la mélancolie de cette passion homosexuelle que seul un bel effleurement d’un doigt matérialise. Ainsi encore, l’histoire d’Orchid, cette Madame Claude Hongkongaise qui apprend avec humour les rudiments du sport de combat sexuel à de nigaudes donzelles en leur faisant une démonstration d’un lancer de balles de ping-pong très particulier : les couleurs très criardes correspondent aux année 60, et à la quasi-vulgarité du segment. Ainsi enfin, cette séquence entre une femme mariée japonaise et son amant malais : tout est filmé pour nous ramener - en vain - vers l’Empire des Sens du japonais Nagisa Ōshima : la lumière, les poses, et même un peu le physique des protagonistes.


Mais de telles prouesses ne suffisent pas à susciter l’intérêt du spectateur. Malgré l’artifice consistant à créer un fantôme, celui de Damien, un habitant permanent des lieux qui observe avec bienveillance les passions qui s’y racontent, leur donnant quelquefois un coup de pouce, le film relève trop d’une sorte d’inventaire sexuel, maladroit et systématique et qui a vite fait d’agacer. Certes, le cinéaste égrène tout au long du métrage de petites touches permettant de resituer ces huis clos dans le contexte socio-politique de chaque époque (coupures de journaux, ou discussions entre les protagonistes), mais la mauvaise passion arrosée du sirop de la mauvaise musique prend le pas sur ce qui aurait pu être une vraie chronique singapourienne. Les scènes sexuelles, nombreuses, sont filmées sans nuances, de manière assez caricaturale et en tout cas très peu flatteuse pour les personnages féminins et les actrices qui les interprètent. Ce qui aurait dû être sensuel n’est qu’étreintes polies à la limite de l’ennui…


De-ci, de-là, on peut cependant retenir quelques belles séquences de ce film décevant. Hotel Singapura, à l’image de la cité-état de Singapour qui est une plaque tournante du business asiatique, est multi-culturel, et c’est ainsi que se mélangent joliment dans le film japonais, malais, chinois , thaïs et coréens, dans un florilège de langues et de diversités, même si elles sont souvent subtiles au travers de notre regard européen ethno-centré. La séquence qui implique deux personnages coréens (joués par Choi Woo Shik, vu récemment dans Dernier Train pour Busan de Sang-Ho Yeon, et Kim Kkobbi, impeccable dans Breathless de Ik-June Yange) est celle qui est la plus réussie, celle qui contient le plus de jeu de la part des acteurs, et de la vraie passion de la part des personnages. D’ailleurs, là encore, l’exercice de style, la pastiche devrait-on dire, rend hommage au cinéma coréen, si reconnaissable parmi toute la filmographie asiatique…Kim Kkobbi en particulier est animée d’un feu qui manque globalement au métrage d’Eric Khoo, en restituant la souffrance de cette jeune femme gavée de sexe vide, d’étreintes qui traversent son corps sans y laisser de traces. Un très beau segment qui est malheureusement loin d’être égalé par le reste.


Sans être complètement raté, Hotel Singapura est un film qui pêche par ses excès : excès de bonnes intentions, de beaux sentiments, de violons doucereux, de métaphores lourdes, de sexe ennuyeux, et la liste est longue. Il est dommage de devoir vilipender ainsi un film visiblement sincère, assis sur scénario somme toute assez travaillée, et dont le réalisateur est le cinéaste singapourien le plus en vue, mais dont le résultat est aussi peu convaincant…


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Bea_Dls
5
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le 27 août 2016

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Bea Dls

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