I Care a Lot
5.8
I Care a Lot

Film de J Blakeson (2021)

Voir le film

I Care a lot, dès ses premières secondes, se coince maladroitement dans un discours stéréotypé sur la société capitaliste, discours qui se veut vindicatif, nébuleux mais qui s’avère surtout éculé : « il y a les lions et les agneaux, les prédateurs et les proies ». Cependant, on connaît déjà la recette et cette fois-ci, elle laisse non pas un arrière-goût acide ou sulfureux mais une petite trace mollement acidulée.


Cet aspect social et financier, voulant dessiner un capitalisme forcené, une immoralité qui pense que l’intégrité est l’argument principal « des dominants », ne sera qu’un simple ressort présent dans les premières minutes ou le premier tiers du film, et s’évaporera malheureusement petit à petit, pour voir le récit se dépêtrer tant bien que mal (surtout mal) dans une lutte de pouvoir entre deux criminels qui se battent chacun avec leurs armes. Derrière ce personnage d’arnaqueuse qui met des personnes âgées sous tutelle pour les spolier de leur argent, le film ne contiendra pas de réelles observations sur la société. Et c’est bien dommage, car à l’image de cette première scène de tribunal et la détresse d’un fils éploré, la douce perversité de Marla laissait présager un récit prenant le pas d’une tornade acariâtre jusqu’au bout des ongles, comme pouvait le faire Scorsese avec Le Loup de Wall Street.


Pourtant, le capitalisme, les limites du système, le laxisme judiciaire, les magouilles de médecins ou d’Ehpad, la détresse humaine, le sexisme, l’argent facile, tout cela n’est finalement qu’un prétexte assez fumeux, superflu et vite mis de coté au profit de son intérêt premier : son personnage d’arnaqueuse (Marla) incarnée de manière véhémente et cynique par Rosamund Pike, reprenant trait pour trait les reflets d’Amy Dunne dans Gone Girl. Elle le fait avec joie, au grand plaisir des spectateurs. Avec son regard calculateur, son visage d’ange qui cache une avidité carnassière, sa composition est implacable, aussi ambiguë que détachée, voire comique. Elle est le moteur du film, et pourtant. Elle aurait pu être le parfait protagoniste de thriller. Mais non.


Si ce personnage est au centre de tout, il n’est qu’un dommage collatéral, un pion venu se battre contre un fils, patron de la pègre russe, qui va tout faire pour récupérer et faire sortir sa mère de l’emprise de la tutelle de cette chère Marla. Un monstre en cache un autre, un capitalisme en dévoile un autre. Mais les deux ne peuvent se soustraire et ne feront que s’additionner. Même ça, le film n’en fera presque rien, comme en atteste ce final télescopé, boursoufflé et venu d’outre tombe. S’ensuit alors une heure un peu amusante et récréative de joutes verbales, de menaces, d’astuces, de bagarres, d’intimidations, de tentatives de meurtres. Une heure où chacun voudra le pouvoir sur l’autre. Parfois on aime surprendre la bêtise de Burn After Reading des frères Coen ou les contours « polar » de Layer Cake de Matthew Vaughn dans I Care a lot et ses personnages endimanchés mais c’est bien maigre pour adhérer totalement aux situations abracadabrantesques qui amènent une déréalisation du récit et l’illisibilité satirique de son regard.


Car de ce détachement naît le réel problème de I Care a lot : le film est à l’image de ce qu’il dénonce ou de ce qu’il essaye de peindre, c’est-à-dire une œuvre dans le déni, dans un désintérêt complet pour l’humain, qui s’amuse même avec le girl power sans en prendre la mesure. Une mosaïque fainéante de portraits qui tirent à vide, sans reliefs ni motivations autres que l’argent. Tout n’est qu’artifice, calculé, étudié et illusion pour voir son réalisateur jouer avec ses marionnettes derrière sa mise en scène publicitaire, invisible et saturée de couleurs criardes. Le film comme son personnage essaye de jouer sur tous les tableaux : l’humour et le drame, la collision des genres, la mesure politique et le portrait grinçant, sauf qu’il se rate sur de nombreux points, pour manquer totalement de propos. De ce fait, il est la première victime de son sujet avec son immoralité sans enjeux.


Article original sur LeMagduCine

Velvetman
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Velvetman et sa tambouille filmique en 2021

Créée

le 23 févr. 2021

Critique lue 2.3K fois

38 j'aime

4 commentaires

Velvetman

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

38
4

D'autres avis sur I Care a Lot

I Care a Lot
BelRiose
1

Pas nainporte quoi. Mais presque.

Après un tel visionnage, je manque de qualificatif tant j’ai versé de l’acide dans mes yeux après avoir au préalable percé mes tympans avec un marteau piqueur hydraulique. Pourtant tout commençait...

le 23 févr. 2021

44 j'aime

7

I Care a Lot
Velvetman
5

Un capitalisme éculé

I Care a lot, dès ses premières secondes, se coince maladroitement dans un discours stéréotypé sur la société capitaliste, discours qui se veut vindicatif, nébuleux mais qui s’avère surtout éculé : «...

le 23 févr. 2021

38 j'aime

4

I Care a Lot
lugdunum91
7

I Care a Lot: Prédatrice impitoyable

28eme film de l'année 2021 et après son moyen "La 5eme vague", je découvre la nouvelle œuvre de J Blakeson mêlant comédie, thriller et policier. On suit l'histoire de Marla Grayson, une tutrice...

le 19 févr. 2021

37 j'aime

9

Du même critique

The Neon Demon
Velvetman
8

Cannibal beauty

Un film. Deux notions. La beauté et la mort. Avec Nicolas Winding Refn et The Neon Demon, la consonance cinématographique est révélatrice d’une emphase parfaite entre un auteur et son art. Qui de...

le 23 mai 2016

276 j'aime

13

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Star Wars - Le Réveil de la Force
Velvetman
5

La nostalgie des étoiles

Le marasme est là, le nouveau Star Wars vient de prendre place dans nos salles obscures, tel un Destroyer qui viendrait affaiblir l’éclat d’une planète. Les sabres, les X Wing, les pouvoirs, la...

le 20 déc. 2015

208 j'aime

21