Te Llevo Con Migo, quel joli titre de film laissant présager du lien indéfectible de l'amour. La réalisatrice, Heidi Ewing, commence par la fiction et termine sur le documentaire pour retracer le cheminement d'Ivan et Gerardo, deux jeunes mexicains amoureux dans le petit village de Puebla, peu enclin à l'ouverture d'esprit. Ivan en couple, découvrira sa véritable orientation sexuelle, partagé entre son désir et sa responsabilité pour son jeune fils, mal à l'aise à dévoiler sa relation, jusqu'à que Gerardo, jeune professeur qui s'assume le poussera à faire ses choix.
Tirée d'une histoire vraie dans le Mexique des années 90, le rejet familial et sociétal, vont pousser Ivan, rêvant à une carrière de chef cuisinier, à passer illégalement aux Etats-Unis, avec la même crainte de rejet et d'échec, avant d'être rejoint plus d'un an plus tard par Gerardo, prenant le risque de quitter une vie plus facile. Des retrouvailles saisies sur le vif où quelques secondes suffisent à rendre toute la puissance du lien. Armando Espitia - dont la ressemblance avec le véritable Ivan est assez frappante - et Christian Vasquez sont d'une belle justesse et sobriété.


Un sujet sensible liant le choix de l'orientation sexuelle et ses préjugés à la problématique de l'immigration pour d'autres préjugés tout autant tenaces et a donné lieu à bon nombre d'exercices. La réalisatrice choisit de concentrer son récit sur leur histoire et aura la bonne idée de traiter rapidement sur le passage de la frontière sans laisser de côté les risques majeurs au déplacement. Malgré une scène elle aura aussi la bonne idée de laisser le racisme ordinaire de côté.


Il est aujourd'hui plus aisé de proposer des trames qu'elles soient documentaires ou fictives sur toutes les dénonciations diverses et variées quand les mentalités changent. Une prise de risque évitée pour tout créateur qui souhaite tout de même bien faire en apportant sa pierre à l'édifice. On apprécie alors toute la délicatesse du métrage, sans ressentir le trop plein de toutes ces propositions, la réalisatrice ouvrant son récit sur plusieurs temporalités accrocheuses et enjeux sociaux-économiques en ne perdant pas sa ligne directrice du déracinement, de la perte et de l'intégration.
Revient en mémoire, John Ridley pour sa troisième saison de American Crime en particulier, et sa grande maîtrise à tisser la complexité des liens familiaux, la difficile adaptation à un pays étranger, l'esclavage social par des emplois peu rémunérateurs, la barrière de la langue et de la culture pour finir par l'incapacité, ici, à retrouver les siens sans risquer l'exclusion.


L'ensemble est limpide, et particulièrement bien rythmé, nous perdant dans les chemins de traverse avant de voir de quoi il en retourne. Entre le début de l'âge adulte, la partie centrale du film, quelques retours en arrière à l'enfance pour les deux jeunes garçons et leurs rapports violents aux pères homophobes, qu'ils soient passés sous silence ou frontaux – et psychologiquement lourd pour le jeune Gerardo (Nery Arredondo), le montage apporte profondeur à la trame principale du récit, contemplative, où nous suivons les déambulations mentales du véritable Ivan, aujourd'hui. La nostalgie parfaitement rendue tout du long confère au métrage une ambiance à la fois désolée et pleine d'espoir.
Les plans de caméra au plus près, saisissent la force du lien, la photographie souligne le déracinement et les espaces confinés, la réalité de la désillusion. On le verra par le personnage de Sandra, l'amie de Ivan partie avec lui, qui finalement préférera retourner au Mexique que de subir l'isolement.


Le fantasme d'une vie meilleure à toucher du doigt le rêve américain, pour tenter de l'attraper à pleine main, finira par réussir à nos deux compagnons pugnaces et on se doute que tous n'auront pas la même chance d'adaptation. Aujourd'hui bon nombre sont laissés-pour-compte par une politique de plus en plus stricte.
Si quelques envolées sentimentales ou les passages obligés au travestissement, nous montrent parfois la facilité de l'exercice, les deux personnages bien réels - que nous découvrirons en seconde partie, une vingtaine d'années plus tard- sont tout aussi à l'aise et sincères devant la caméra, nous donnant à voir un beau témoignage pour tous les exclus de tout bord.

limma
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le 22 sept. 2021

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