Film d'ouverture du Festival Reflets du cinéma 2019

Pour clôturer ce cérémonial de discours, Antoine Licoine, chargé de la programmation à Atmosphères 53, est venu présenter le film, inédit en France, The idealist (Idealisten). Il souligna, très justement, qu’en ce 8 mars, journée mondiale de la femme "c’était une évidence que la réalisatrice soit une femme." Pourtant, Christina Rosendahl dépeint un univers totalement masculinisé où seulement deux femmes, quasi non-écrites, apparaissent à l’écran : la femme ainsi que la collègue de Poul Brink, jeune journaliste de radio danoise interprété Peter Plaugborg. La réalisatrice ancre son récit dans deux époques distinguées revenant avec vigueur à travers des images d'époque sur l'accident nucléaire proche de la base aérienne américaine de Thulé, au Groenland, le 21 janvier 1968 où un B-52 de l'armée américaine portant quatre bombes à hydrogène est abandonné par son équipage après un incendie survenu dans la cabine avant de s'écraser sur la mer de glace faisant exploser les bombes et se disséminer leur charge nucléaires. Deux jours plus tard, les gouvernements danois et américain annoncent que l'incident a été contrôlé. Pourtant, 18 ans plus tard, Paul Brink est contacté par un des travailleurs ayant participé au nettoyage qui pense que la mystérieuse maladie de peau d'un collègue a été causée par l'opération. Brink se rend compte ensuite que partout dans le pays, d’autres travailleurs mobilisés à l’époque ont le même problème. Il fait alors part de ses soupçons aux autorités, mais le silence qu’on lui oppose est assourdissant.


Ce thriller inspiré de faits réels jongle parfaitement entre les images d'époques et la construction scénaristique contemporaine, nous replongeant parfaitement dans ce climat de Guerre Froide où ni les Etats-Unis et l'OTAN d'un côté, ni l'URSS de l'autre, ne sont dédouanés de leurs actions militaires exacerbées dont l'utilisation d'armes nucléaires opposant le bloc de l'Ouest du bloc de l'Est. Au milieu de ce calvaire, le Groenland, territoire danois, pris en étaux entre les exigences américaines et les dissimulations du gouvernement danois face à la montée en puissance de l'URSS et de ses exactions sur les territoires proches tel l’invasion de la Hongrie. L'enquête journalistique est vraiment haletante, expliquée de manière instructive et claire par la réalisatrice permettant de suivre avec intérêt ce scandale d'Etat dissimulé par le silence des autorités et ce hors-champ, si cher aux films danois comme l'excellentissime The Guilty où là aussi, le téléphone tient une place considérable. Le montage rapide et les gros plans de la caméra nous immergent parfaitement dans ce quotidien mouvementé et décisif de Poul Brink qui des années durant enquêta sur ce mutisme. D'ailleurs, les hommes politiques se seraient bien passés de cette enquête. Certains plans, notamment ceux tournés aux Etats-Unis apportent vraiment un supplément d'âme de par les paysages qui sont dépeints au rythme de la voiture où le chemin tortueux à emprunter est aussi difficile que celui d'accéder à la vérité. Quel dommage que les paysages danois et ceux du Groenland soit si peu exploités. Le film aurait également gagné à traiter davantage de l'impact et les répercussions sur la vie de Poul Brink et celle de son entourage puisque l'investissement fut coûteux et nécessita certainement de nombreux sacrifices pour obtenir les informations qu'il souhaitait débusquer. Poul Brink, de par sa détermination et son intelligence, aurait parfaitement pu compléter l'inconditionnel duo de Bob Woodward et de Carl Bernstein dans Les hommes du président, mais ici, cet homme solo porte à lui seul ce film et son incroyable histoire. The Idealist pose la question de la moralité des hommes politiques de l'époque, de l'utilité du journalisme d'investigation, des lanceurs d'alerte et malgré le propos ancien de l'histoire contée, ce film de 2015 souligne peut-être l'échec de nos démocraties ou du moins celui des peuples qui 50 ans après ont toujours les mêmes relations avec leurs politiques. L'une des dernières scènes du film rappelle avec justesse que les journalistes doivent exercer leur profession selon un code déontologique et que le respect de la dignité des victimes restent primordiales.


À retrouver sur mon blog : https://reglisseaupaysdesmerveilles.blogspot.com/

thomaspouteau
7
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le 12 mars 2019

Critique lue 137 fois

thomaspouteau

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