Très méconnu, ce film tchèque de 1963 est un jalon de la SF au cinéma. La SF à tendance exploration galactique où des humains voyagent dans un vaisseau à la recherche de traces de vie aux confins de l’espace. Située en 2163 (pile poil 2 siècles après l’année de production, pour faire bonne mesure), l’action montre ce qui se passe à bord du vaisseau XB 1, à destination d’Alpha du Centaure.


Impossible à louper, la petite phrase d’accroche sur l’affiche actuelle, à l’occasion de la ressortie du film en salles : L’odyssée de l’espace qui a inspiré Stanley Kubrick, excusez du peu. Rappel pour les profanes, le film de Kubrick est une adaptation d’un roman d’Arthur C. Clarke (alors que Ikarie XB 1 est adapté d'un roman de Stanislam Lem). Ce qui n’empêche que de nombreux détails vont dans le sens de la phrase en question : les décors, la place dans le scénario de l’ordinateur central, l’astronaute fou qui répète « La Terre n’existe pas, elle n’a jamais existé » dont l’absurdité renvoie à la conclusion énigmatique de 2001, l’odyssée de l’espace. Très bien, mais si le réalisateur (un tchèque nommé Pólak…) conserve pour l’éternité l’antériorité du projet, force est d’admettre qu’avec 2001, l’odyssée de l’espace Kubrick réussit tout mieux que Pólak. Eh bien, même si on s’en doutait un peu, ce Ikarie XB 1 méritait la restauration (belle réussite : image et son) et donc sa redécouverte par les spectateurs.


Jindřich Pólak présente des images de qualité dans un beau noir et blanc et un format de type scope qui fonctionne bien. Avec des moyens limités par rapport à ceux de Kubrick 5 ans plus tard, il doit se contenter trop souvent de plans montrant son vaisseau passer d’une extrémité à l’autre de l’écran. Au passage, on peut constater que l’effet de vitesse prête à sourire aujourd’hui. Remarque faite parce que le vaisseau est sensé se déplacer à une vitesse proche de la lumière, même si ce n’est que sous-entendu par le discours du commandant MacDonald (Radovan Lukavsky) qui discute avec sa femme restée sur notre bonne vieille planète Terre en déplorant qu’à son retour il ne l’intéressera plus parce qu’il sera plus vieux qu’elle (évocation simpliste du principe dit du paradoxe des jumeaux qui annonce qu’en se déplaçant à une vitesse proche de la lumière, on vieillit différemment). Tout cela pour dire que le film cherche une certaine crédibilité scientifique (non sans un certain humour, voir le nom de l’arme utilisée à un moment), par exemple avec la destination, vers l’étoile la plus proche du Soleil, en visant des planètes ressemblant à la Terre. Notons au passage la présence du robot Patrick qui joue un rôle non négligeable dans l’intrigue, faisant de lui un jalon évident dans l’histoire des robots de l’espace au cinéma. La vraie (énorme différence) avec le film de Kubrick, c’est que l’apesanteur est ici totalement négligée. Dans leur vaisseau (espace vital incroyablement confortable), les voyageurs (une quarantaine) se comportent comme s’ils vivaient en vase clos quelque part sur Terre. Seuls le scénario et la mise en scène tirent le film vers la SF et le voyage intersidéral.


Le décor utilise de nombreuses formes géométriques dont l’originalité relève aussi bien de l’époque (le pop-art) que du savoir-faire des artistes et techniciens du cinéma tchèque des années 60. Associé à un son à tendance électronique, l’atmosphère SF fonctionne encore assez bien. Les costumes ont davantage vieilli à mon avis, les tenues des astronautes faisant penser à des pyjamas de couturier aux tailles amples mises en valeur par une sorte de col roulé très large. Si le scénario ne s’attarde pas sur le but de la mission (la vie existe-t-elle ailleurs que sur Terre et sous quelle(s) forme(s) ?), il évoque certaines problématiques dues à la distance à parcourir : temps à passer dans l’espace, relations sentimentales entre astronautes (les déplacements en soirée étant judicieusement comparés à ceux de planètes autour de leur étoile) et maternité dans l’espace. Les voyageurs explorent l’espace, le scénario explore différentes pistes liées à ce voyage en ménageant plusieurs surprises. On arrive à la conclusion que le pire danger pour l’homme est l’homme lui-même. Remarque au passage, la mission se révèle très cosmopolite, sous-entendant une capacité de fédération de l’humanité plus ou moins contredite par le fait que les membres de l’expédition ignorent certains détails non négligeables de l’histoire de l’exploration de l’espace par l’espèce humaine.


Le film se conclue astucieusement sur une sorte de début, fin ouverte qui permet au spectateur de se faire son propre film sur un éventuel contact avec une civilisation d’outre-espace. Mon impression est que si contact il y a, on peut l’espérer pacifique, en lien avec le but affiché de l’expédition (exploration, espoir de découverte, etc.) mais en possible contradiction avec ce qu’on comprend des capacités de nuisance de l’espèce humaine. Tout compte fait, une fin intelligente qui laisse une réelle liberté à l’imagination du spectateur, tout en lui rappelant que tout sujet entraine sa problématique.


Enfin, notons que le film (1h26) aborde la question du danger de l’utilisation de l’arme nucléaire, de façon certes moins personnelle que Docteur Folamour de Stanley Kubrick (tiens, tiens), mais à la même période (début des années 60).

Electron
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le 27 avr. 2017

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