Ils sont partout
4.3
Ils sont partout

Film de Yvan Attal (2016)

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"L'humour juif: c'est quand c'est pas drôle et que ça parle pas de saucisse" OSS117

Il sont partout, c'est avant tout une bande-annonce excellente et alléchante vantant une comédie ... qui n'existe pas.
Du moins pas au sens où l'on entend "comique". Une sorte d'humour juif, en somme.
Il sont partout, c'est ensuite un film à sketchs dont les segments sont inégaux tant dans le capacité à émouvoir que dans leur cohérence avec le tout du film.


Segment 1 (1/10) [time-code: 4:05 - 23:04 ]
Benoît Poelvoorde (Podium, Rien à déclarer), représentant un parti d'extrême droite fasciste et anti-sémite comme il se doit dans tout récit polémiquement correct, apprend à la mort de sa grand-mère. Il décide néanmoins de faire campagne au grand dam de sa femme, incarnée par Valérie Bonneton (Le Grand partage).
Comment dire ? J'ai pour philosophie de laisser toujours sa chance à l'oeuvre et de toujours la visionner intégralement pour m'en faire un juste avis. Ce sketch initial a failli me faire arrêter net le film. Vomissant un à un tous les clichés grotesques sur le Front National, perpétuant le parallèle entre représentant frontiste et Reichführer - j'ai cru revoir le passage de La Chute où Hitler se marie et cherche vainement à caché son identité juive, scène qui n'avait jusqu'ici pas été parodiée, la scène du coup de gueule faisant plus de choux gras et donnant tous les sens possible au patronyme Fegelein - ce segment dessert autant le film que le remarquable casting qui cherche vainement à lui prêter vie. C'est assez pitoyable de voir Poelvoorde d'habitude si bon nous servir une parodie de la scène du miroir de La Haine avec un juif bien belge crachant sur les juifs et faisant mine de porter la moustache hitlérienne. L'inutrition comme la parodie ne sont jamais tombés si bas...dans la propagande politique.
Il ne faudrait pas pourtant rester sur cette malheureuse entrée en matière car, heureusement, le meilleur est à venir.


Segment 2 (9/10) [time-code: 26:37 - 46:25]
Dany Boon(Bienvenue chez les Chtis) campe un juif pauvre, contraint à dealer pour payer la pension alimentaire de sa femme (Charlotte Gainsbourg, Nymphomaniac). Il reproche à ses parents - Robert Castel (Le Grand blond) et Marthes Villalonga (Un éléphant ça trompe énormément) - cet état de fortune déplorable, reniant ses origines juives. Ses parents décident d'héberger son ex-femme qui profite de leur revers de fortune, un gain aussi substantiel que subit au loto. Mais la jeune opportuniste apprend bien vite que l'argent ne fait pas le bonheur.
Ce nouveau segment réconcilie avec le film. Non seulement, l'histoire est bien écrite, le ton admirablement dosé entre tension et humour mais encore l'interprétation du trio Castel-Villalonga-Boon est à classer parmi les meilleurs du cinéma français. On ne reprochera à ce segment que sa fin fin abrupte et certaines invraisemblances pourtant jouissives comme la mère juive qui fait fuir les loubards de cité.


Segment 3 (10) [time-code: 47:51 - 52:27]
Deux juifs (Denis Podalydès, La Conquête, et Gégory Gadebois, Les Revenants) entament un débat interprétatif sur un passage du Talmud. Le passage traite d'un paradoxe sur deux ramoneurs. Aucun des deux ne parvient à trouver la juste interprétation du passage.
Il s'agit sans doute du passage le plus abouti du film. Peut-être un poil trop intellectuel pour certains, ce segment fait dialoguer Bible et Diderot dans un joyeux mélange de logique labyrinthique. Traitant du noir et du blanc, dans toutes leurs acceptations symboliques, il s'accompagne d'un décor représentatif, en couleur où pourtant tout est en noir et blanc. Une esthétique à la hauteur du jeu et de l'humour philosophique, relevé par l'excellente prestation des deux comédiens.


Segment 3 (8/10) [time-code: 53:56 -1:18:17 ]
Gilles Lelouche (Les Infidèles, Les Petits Mouchoirs) incarne Nobert un agent du Mossad envoyé à travers le temps à Betléhem afin d'assassiner rien de moins que Jésus. Ses gadgets d'homme du futur impressionne les habitants qui le prennent pour Dieu. Il parvient, auréolé de cette réputation à séduire une jeune femme à qui il fait un enfant. Stupeur: elle s'appelle Marie et décide d'appeler son fils Jésus. Norbert réalise qu'il a accompli l'exact contraire de sa mission. Ne pouvant se résoudre à tuer son fils, il retourne dans le présent et Marie prétend avoir eu son enfant de Dieu. De retour en son temps, Norbert a des remords et retourne dans le temps ...un poil trop tard. Il est considéré comme le véritable messie et est crucifié à son tour.
Dissonant, tranchant avec le reste du film de par sa teinte science-fiction, son côté spoof-movie entre Terminator et La Passion du Christ, ce segment divise. Donnant aussi dans le Da Vinci code, il séduira surtout les inconditionnels de ce dernier film et les whovians qui, hélas, n'auront pas le droit au TARDIS mais à l'équivalent du tétraèdre de Cyrano de Bergerac dans Les Etats et Empires du soleil. En revanche, pour qui aura apprécié l'aspect réaliste du film jusqu'à ce segment, il semblera un ovni totalement hors de propos.


Segment 4 (1/10) [time-code: 1:19:22 - 1:20:37]
Sorte de vrai-faux micro-trottoir, il voit des passants interrogés sur la possibilité d'un complot juif international.
On retombe dans le grotesque et le cliché éculé du premier segment.
Car cela fait longtemps que l'on sait que les Français de la fin du XIXe siècle ont en effet créer le faux document d'un complot juif intitulé le Protocole des Sages de Sion. Mettre en boîte un micro-trottoir pour demander si le soleil tourne bel et bien autour de la terre serait tout aussi absurde mais aurait le mérite d'être bien plus instructif.
Ce segment donne dans la propagande socialiste dite "républicaine" et "laïque" et use un cliché éculé au point d'en pleurer: voilà un passant de couleur qui vous demande si - sait-on jamais? - il ne serait pas juif et de ce fait partisan du complot juif. C'est Le Reflet de Didier Daennincx. Sans le talent et réchauffé...


Segment 5 (6-7/10) [1:21:31 - 1:34:16]
Pour pasticher Sherlock Holmes, intitulons ce segment La Ligue des rouquins.
François Damiens (Dikkenek, Des nouvelles de la planète Mars) joue Roger, un homme roux qui en a assez de voir un pèlerinage en mémoire à la Shoah se dérouler chaque année devant son appartement. En en parlant avec sa femme, il confesse souffrir de sa condition d'homme roux.Son interlocutrice, pour se moquer de lui, lui conseille de monter une association pour défendre les droits des roux. Elle ne se doute pas alors qu'elle vient de lancer une vague de mouvements de protestation de toutes les minorités possibles et imaginables.
En demi-teinte, ce segment représente assez bien le film. Tantôt drôle et farfelu à souhait, tantôt extrêmement dramatique, il montre ce qui pèche réellement dans Ils sont partout: c'est une comédie à visée politique qui tombe de façon assez gênante dans la propagande, la dénonciation voilée en cherchant à promouvoir le vivre ensemble et à combattre dans le même temps le politiquement correct. François Damiens est plus drôle que jamais et ressort grandi de ce passage. Popeck (Rabbi Jacob), qui avait su jusque là ne pas tomber dans l'écueil de l'humour douteux et polémique, déçoit tristement. Certes, on peut percevoir son intervention comme le moyen grave de recentrer le sujet après la fantaisie rouquine mais alors cela est très mal amené et de très mauvais goût.


Segment 6 (9/10) [1:35:16- 1:41:03]
L'enthymème de François Hollande.
Sans doute l'un des meilleurs passages du film.
Alors qu'est-ce qu'un enthymème, me direz-vous? Une figure de style, allons!, vous répondrai-je. Néanmoins, François Hollande ne donne-t-il pas d'ordinaire dans l'anaphore? Si. Mais ici, il donne dans l'enthymème. Avec tout cela, on ne sait toujours pas ce qu'est un enthymème. Est-ce le contraire du même? Non. C'est un syllogisme tronqué. Un quoi?
Pour faire simple: un syllogisme, c'est un raisonnement en trois phases qu'on appelle la mineure, la majeure et la conclusion. Par exemple - exemple typique et éculé - Socrate est un homme (mineure) / Or, tous les hommes sont mortels (majeure) / Donc Socrate est mortel (conclusion). Partant de cela, un enthymème, c'est un syllogisme dépourvu de l'une de ses prémisses (la majeure ou la mineure), laquelle est comme sous-entendue. Exemple: Socrate est un homme donc il est mortel.
Mais qu'est-ce que François Hollande vient faire dans ce petit cours de rhétorique? Rien. Il est dans le film à utiliser la figure définie dans ce petit cours.
Les juifs sont riches et solidaires (mineure) / Soyons donc tous juifs (conclusion): c'est enthymème.
Yvan Attal s'amuse à jouer de l'enthymème pour montrer le ridicule qu'il y a à associer une qualité ou un défaut à un peuple, une confession religieuse, une ethnie particulière. De même qu'il est grotesque d'entendre Karl Jaspers dire que l'enfant est le seul vrai philosophe parce qu'il dispose des qualités que le philosophe conserve de l'enfance dans son âge adulte, confondant ainsi qualités humaines accessibles à tout âge mais se perdant avec le temps et l'habitude et âge où l'on entend disposer plus qu'à tout autre âge de ses qualités, il est absurde d'associer judéité et le couple de valeurs richesse et solidarité. L'humain en est capable sans être nécessairement juif. Les juifs en font plus preuve au quotidien - et selon les clichés surtout - que les autres. Voilà tout le message du film exprimé en un enthymème et l'interprétation qu'Yvan Attal en attend. Le film aurait pu s'en tenir à ce passage et être un court-métrage d'une totale réussite. L'humour est là, sans bémol, porteur d'un message fort et clair. Pourquoi l'avoir noyé dans les autres court-métrages précédents agglutinés les uns aux autres?
On saluera par la même occasion le retour de Patrick Braoudé (La Dernière campagne) dans le rôle de François Hollande: la ressemblance est toujours aussi frappante et sert admirablement ce dernier segment.
Petit bémol, s'il en faut: Claire Chazal ne présente plus le JT depuis .... un certain temps. Donc avis à Yvan: si l'on pousse le réalisme à mettre en scène un Hollande confondant de vérité, autant choisir une présentatrice d'actualité ...


Récit-cadre (4/10) [Time-code: 0:00-4:05 / 23:04-26:37 / 46:25-47:51 / 52:27-53:56 / 1:18:17-1:19:22 / 1:20:37-1:21:31 / 1:34:16-1:35:16 / 1:41:04-1:42:17]
Le récit qui encadre tous ses segments n'est que l'incessante répétition du message du film, indirecte d'abord puis directe à la fin.
Yan Attal dans son propre rôle - rendons à César ce qui est à César - consulte un psy parce que sa femme lui reproche d'être obsédé par les juifs.
Tout n'est pas à jeter dans ce fil décousu qui sert plus à introduire les différents segments et à conclure. L'inversion du sens de la célèbre phrase de Brasillach devenue titre du film, par exemple: ils, ce ne sont plus les juifs: ce sont les anti-sémites. La conclusion: ne parlons plus de juifs, d'arabes, de français, de chinois, de belges, de types d'hommes mais bien plutôt d'hommes. C'est une belle conclusion, qui résume le même message décliné dans les différents segments du film. Certes un peu éculé, après des Imagine, Ballade nord-irlandaise, Joyeux Noël; certes un peu maladroite dans un film qui met en relief la condition du juif en France; mais néanmoins belle et admirable.
Ce qui est à jeter, c'est cette logique de prétérition métaleptique qui est filée tout au long du récit-cadre.
... prétéri quoi????!!!!
Tout le monde SE CALME !!!!!!!!!!!!!!!!!!
Plus simplement, Yvan Attal, qui souhaite démonter les clichés sur le judaïsme, donne dans le pire d'entre eux tout le film durant. Yvan devrait s'appeler Jérémie au vu de sa prestation dans la jérémiade. Car ses séances chez le psy servent à défendre son film à l'intérieur de son film en faisant parler indirectement son propre personnage aux critiques: oui, mon film parle des juifs et ça vous dérange! Oui, vous allez me reprocher de parler de cliché devenu tabou mais ça n'en sont pas. Oui, je sais, je suis obsédé par mon identité juive mais j'ai le droit de m'exprimer. Oui, mon film sera mal vu parce que parler des juifs, ça fait pas rire,"ça fait chier tout le monde", "rien que dire le mot juif, ça crispe". C'est vrai que tout le monde se crispe en entendant Louis De Funès s'exclamer, étonné: "Comment Salomon, vous êtes juif ?"
De deux choses l'une: le scénariste-réalisateur qui a besoin de rompre la discussion personnage - personnage pour établir une relation personnage-spectateur et défendre son film, il n'a pas bonne conscience et cherche à sauver les meubles. Le film aurait pu être bien meilleur sans ce récit-cadre bas de plafond. Ce n'est pas qu'Yvan Attal soit mauvais acteur, il est bien plus plaisant dans Raid Dingue réalisé par l'une de ses vedettes d'Ils sont partout. C'est plutôt qu'il est mauvais scénariste.
Ensuite, à la prétérition qui veut que parler des juifs, ça ne fait pas rire et ça crispe, visant à défendre la tonalité sério-comique du film, je réponds comme Marthes Villalonga dans le film (contre-métalepse impromptue?): "Tu n'es pas un juif: tu es un sale juif !". Car, oui, Yvan, quelle image donnes-tu des juifs, toi l'athée qui, selon la formule consacrée de Cyrano De Bergerac, prie "Dieu qu'Il [te] fît la grâce de ne point croire en lui"? L'image de gens qui se plaignent d'avance des attaques qu'on leur puisse faire pour mieux se faire plaindre et mieux être défendus. D'hypocrites, en somme.
Ce procédé courant tout au long du film, en plus d'être inutile est risible et dangereux car il gâche tout le réel potentiel de l'oeuvre. Il faut soumettre l'oeuvre quand il est l'heure de la soumettre au public, il faut défendre l'oeuvre lorsqu'il est l'heure de la défendre face à une réception mauvaise. La défendre avant l'heure, c'est l'exposer à être attaquée, puisque c'est ce qui est prévu. C'est truquer l'expérience de Schröndinger et tuer le chat dans la boîte avant même d'observer s'il est mort ou vivant. C'est d'un absurde sans nom !
Pis, c'est mensonger de se prémunir d'un humour juif inaccessible quand on sait le talent humoristique des sketchs et films avec Popeck, Robert Castel ou Marthe Villalonga ou celui plus criant encore des films Rabbi Jacob, La Vérité si je mens, XXL,Rio ne répond plus, j'en passe et des bien meilleurs ...


Le film dans son ensemble (6/10)
Agréable mais décevant.
Vous avez vu la bande-annonce et vous vous attendez à une comédie ? Passez votre chemin !
Vous vous attendez à un film sérieux sur la judéité française? Passez votre chemin !
Ce film est un pot-pourri de court-métrages inégaux, de tonalités diverses. Certains sont agaçants et d'une nullité confondante quand ils ne sombrent pas dans la propagande soi-disant laïque. D'autres sont originaux à ne plaire qu'aux esprits leariens, carrolliens ou wohvians. D'autres enfin sont réellement drôles, verbalement et esthétiquement réussis, des perles dans une flaque de boue.
Cette critique se veut un vade-mecum pour choisir dans le film les passages qui sont faits pour vous.

Frenhofer
5
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le 5 juin 2017

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