[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


Je connais le cinéma allemand (et celui de Fatih Akın) essentiellement au travers de ce qu'on m'a projeté pendant mes cours d'allemand au collège/lycée. Aus dem Nichts n'est ainsi pas étranger à ce dont je suis familier : un film sur des thématiques contemporaines, politiques, sociales..., qui joue à la frontière de l'anticipation, et recourt à la fiction pour traiter des problématiques pas si lointaines. (En cours d'allemand, on regarde Die Welle, Die Wolke, Solino, Die verlorene Ehre der Katarina Blum... Bon, et aussi des films sur la séparation des deux Allemagnes, Das Leben der Anderen, Goodbye Lenin, und so weiter.)


Ici, Akın a choisi de parler de la montée du néonazisme et de l'hostilité en Allemagne vis-à-vis des étrangers, vraisemblablement (car c'est un peu toujours le point de départ) en partie à partir de son expérience/vécu/ressenti de réalisateur d'origine turque. Il dépeint ainsi un pays où des personnes sont assassinées à cause de leur origine, où une police aussi pleine de racisme ordinaire que de bonnes intentions ne ménage guère les victimes, où les médias (totalement absents) choisissent ce qui relève du « terrorisme » et ce qui relève du « fait divers », où le système judiciaire dysfonctionne gravement... C'est un portrait à charge, évidemment, mais dont je trouve louable qu'il existe, en particulier compte-tenu du déséquilibre médiatique mentionné (on a, en France, moins entendu parler des crimes racistes du NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, parti d'extrême-droite à l'origine de crimes racistes et d'explosions de bombes entre 2000 et 2011), que d'autres événements certes sordides mais considérés terroristes simplement du fait de l'origine de leurs responsables).


Le film est divisé en trois parties, qui reçoivent chacune un traitement cinématographique spécifique. La première pose la situation initiale : le mari d'origine turque de Katja (Diane Kruger) est tué avec son fils par l'explosion d'une bombe devant sa boutique. S'ensuivent la douleur du deuil, l'enterrement, le début de l'enquête. (Partie très pathos, un peu exagérément à mon goût, en particulier parce qu'il pleut tout le temps.) Dans la deuxième partie, les coupables (seulement très très suspects, mais on les entendra avouer plus tard) ont été identifiés, un couple néo-nazi, et leur procès est mené, de manière très théâtrale comme on aime bien le faire au cinéma, avec notamment un personnage d'avocat de la défense (Johannes Krisch) extrêmement agressif. Les accusés sont acquittés, leurs avocats ayant su créer un doute suffisant. Dans la troisième partie... dans la troisième partie, Katja est désespérée par ce verdict surprise, elle ne sait plus quoi faire, et je me demandais aussi ce qu'elle allait bien décider de faire : pour moi, le suspense culmine à ce moment-là. Katja, seule et isolée (volontairement), a suivi le couple, en vacances en Grèce, et songe à se venger, mais hésite. Elle finit, dans un élan de désespoir, par faire exploser leur caravane, avec eux et elle dedans.


Au niveau de la mise en scène, je suis un peu mitigé. J'ai trouvé le dernier plan très beau, un long déplacement vu du ciel sur la plage qui semble très abstrait au premier abord. Ça a été l'occasion de faire redescendre la tension tout en réfléchissant à ce que je venais de voir, et offre donc une fin appréciable au film. En revanche, certaines séquences ont quelque chose de très glauque (je me souviens avoir eu la même impression devant Soul Kitchen, toujours à l'époque des cours d'allemand). Je pense en particulier à celle où Katja fait une tentative de suicide. La mise en scène y est très apparente, mais Fatih Akın semble oublier que les scènes de (tentatives de) suicide rendues mémorables par leur mise en scène le sont parce qu'elles suscitent l'empathie. Ici, un long mouvement de caméra approche de Katja qu'on s'attend à trouver ensanglanté ; oui, cela me choque, me dégoûte, mais ne suscite pas l'empathie, cela me sort du film et me fait râler sur la mise en scène et non me dire « non, Katja, ne fais pas ça ! ».


Je retiens qu'il y a dans le film deux « attentats » (qui ne sont pas nommés ainsi - celui des néonazis, et le suicide final), tous deux commis par des Allemand.e.s de souche. Un phénomène existant et sous-représenté (dans les films, quand des « Occidentaux » font exploser des bombes, pas question de terrorisme, c'est pour faire sauter des coffres-forts ou des armées de Méchants). Et Aus dem Nichts parvient à montrer, sans en diminuer l'horreur, les motivations extrêmes qui peuvent conduire à un tel acte : la haine et la culture de la violence d'abord, le désespoir total de l'autre. Finalement, c'est un film très très sombre, comme le titre l'indique.


(Je l'ai vu juste après 3 billboards, avec qui il partage des thématiques en commun. J'aurais sans doute été plus avisé de les voir dans l'ordre inverse, 3 billboards apportant une note d'espoir à la fin.)

Rometach
5
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le 23 janv. 2018

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Rometach

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