Marcel et Jeanne, un couple ayant fait succès respectivement dans la littérature et l’édition, retournent vivre avec leur fille dans la demeure familiale de laquelle l’épouse vient d’hériter. Le cadre à peine posé, le film se trahit en introduisant l’élément perturbateur, Gloria, la vingtaine, fraîchement débarquée dans ce coin de campagne, dont on déduit un lien secret avec le couple. Celle-ci trouve le chien de la petite, le ramène aux propriétaires, fait bonne impression, et puis rentre à l’hôtel pour se donner l’apparence d’une maltraitée, dans l’espoir d’être recueillie par le ménage. En moins de vingt minutes, l’histoire est scellée : bienvenue dans le plus classique et moins original home invasion du cinéma.


Quel rapport entretenir avec le passé ? Cette question traverse le film de deux manières. À travers le personnage joué par Benoît Poelvoord dont les antécédents mènent à l’élément déclencheur de l’intrigue, mais aussi à travers les influences esthétiques de Fabrice du Welz, tombant systématiquement dans le cache-misère plutôt que l’hommage allant de l’avant. Son septième long-métrage échoue dans l’exercice d’affranchissement du passé, et se retrouve reclus sur lui-même, incapable d’insuffler densité et profondeur aux situations mises en scène, ni même d’esquisser un propos proportionnel à la violence dont sont capables ses protagonistes. Ce fameux passé qui ne fera que remonter à la surface durant tout le film n’est jamais ambigu ou trouble ( le spectateur averti le comprendra même dès le premier quart d’heure ). Un exemple : lorsque Gloria tente d’être recueillie par le couple bourgeois, le spectateur est placé dans une position omnisciente, conscient du mensonge et de la malveillance dont elle fait preuve. Pourquoi nous donner toutes ces cartes et perdre en suspense, en intrigue ?


Autrement plus problématique, Inexorable s’enfonce en usant, inconsciemment peut-être, d’une histoire vue mille fois mieux ailleurs et avant. Du licenciement de la bonne de la maison, on retiendra la perfection et le calibrage parfait du plan de la famille de Parasite ( Bong Joon-ho, palme d’or de 2019 ), tout comme l’Histoire se rappellera du désir de revanche social du grandiose Servant ( Joseph Losey, 1963 ), dont la perversité est justifiée par cette injustice politique. Nous pourrions encore citer La servante (Kim Ki-young, 1960 ), l’un des premiers chefs-d’oeuvre du cinéma sud-coréen ou de nombreux films d’horreur ayant exploité le procédé du home invasion. Mais ici, que retenir, que ce soit dans le scénario ou à l’image ? Deux scènes sauvent toutefois ce film : la première est un travelling arrière, guidé par Gloria, qui assoit sa victoire sur la mère du logis à travers le personnage de la fille, qui préfère la nouvelle nourrice. La seconde se passe durant l’anniversaire de la cadette, laquelle choisit d’offrir un spectacle à ses camarades de classe… à savoir une danse sur du heavy-métal en plein décalage avec les parents propres sur eux et leur immense demeure en arrière plan, bien que nous pourrions déplorer le vol de l’originalité de cette idée au cinéma de Bruno Dumont et son film Jeannette ( 2017 ).


En définitive, Inexorable n’est pas un film pertinent ou même nécessaire à la cinéphilie. Il est au mieux une maladroite porte d’entrée vers un authentique cinéma de genre, comme le suggère grossièrement l’usage des couleurs criardes, pour flatter l’égo de quelques uns qui brilleraient à voir la référence au giallo. Mais comment se revendiquer légitimement de ce genre cinématographique ? La forme ne suffit pas : il est nécessaire de faire avancer les lignes de fond du giallo vers un ailleurs, ce dernier correspondant à la patte personnelle et artistique du réalisateur. Peut-être était-ce trop demander à Fabrice du Welz que d’attendre de son film un véritable moment de cinéma.


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le 21 sept. 2021

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