Dusan Makavejev, un obscur documentariste yougoslave que vous connaissiez peut-être, nous présente ici ce que la légende qualifie de "premier film parlant du cinéma yougoslave". Des guillemets lourds de sens.

Derrière l'épitaphe se cache un homme, Dragoljub (sisi) Aleksic ; un homme de fer même comme on l'apellait du côté de Belgrade. Dragoljub a eu sa belle période, dans les années 30-40 (tu les sens venir mes gros nazis ?), faite de force physique et de résistance mentale hors normes, période qu'il passa allégrement à faire du vélo en équilibre sur une perche, passer d'une cage suspendue à une cage suspendue en trapèze ou rester accrocher à un avion volant par les dents. Bref, un mec comme ça.
Mais il y a un homme derrière le muscle ; un homme qui a en lui une sombre histoire d'amour, de désir et de trahison, comme ils disent ; et qui se dit que c'est pas parce que les nazis ne seraient peut-être pas d'accord qu'il ne faut pas en faire un film. Forte tête.

Une vingtaine d'années plus tard, après que la péloche ait été projetée en concurrence avec des oeuvres germanophones, puis retirée, puis enterrée dans un jardin, puis qualifiée à la Libération de collabo, puis oubliée par tout le monde... Makavejev tombe dessus. Avec des yeux de yougoslave cinéphile ; et forcèment il est emerveillé. Imagines-toi, un matin, ton chien creuse un trou dans le jardin et te ramène "Le train : prequel" des frères Lumière... Normal.
Le cinéaste brode un peu autour de sa pépite redécouverte, et le fait avec talent. Son film va proposer trois niveaux de narration (voire 4 d'ailleurs) : la bluette pré-historique, charmante et désarmante, le portrait de Dragoljub, devenu vieux mais toujours en fer, et une vision documentaire presque néo-réaliste de l'occupation du Reich, avec des longs plans muets de Belgrade sous les bombes et les pas militaires. Et même quelques séquences gratuites, comme ça, où il retrouve diffèrents participants du film, ce qui nous donne cette fantastique ligne prononcée par je ne sais plus qui-ic "le cinéma n'a pas besoin de héros, il a besoin d'esclaves".

Le pire, c'est que ces 3 niveaux, ils marchent. Tous. Et tous ensemble, surtout. Et je ne sais même pas vraiment pourquoi ; mais cette volonté de tout aborder, ambitieuse au premier abord, c'est en fait une action humble, très humble. C'est l'histoire d'un passioné talentueux qui rend justice à un autre passioné talentueux, le premier de ce côté-ci de l'Adriatique. Comble du comble, c'est le plus souvent en se passant des mots, qu'Aleksic était si fier de pouvoir filmer, que Makavejev fait mouche, avec des shoots de ce petit homme baraque, au discours fantasmagorique, aux cheveux gris mais aux muscles hypertrophiés, seul, très souvent seul, alors qu'il était porté en triomphe deux décades plus tôt.

C'est définitevment à voir, les loulous.
lucasstagnette
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le 13 avr. 2013

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Lucas Stagnette

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