Une entrée dans le monde hollywoodien plutôt réussie

Avec le succès critique de Memento, Christopher Nolan entrait dans la cour de ces réalisateurs indépendants qui intéressent les grosses productions hollywoodiennes, qui attendent l’occasion pour faire appel à un cinéaste de talent et de le mettre à la tête d’un plus gros projet. Ce fut le cas de la Warner, qui demanda à Nolan de s’occuper d’Insomnia, remake d’un film norvégien encensé par les médias. Mais il n’est pas rare qu’Hollywood ruine leur réputation, empêchant ces réalisateurs d’user convenablement de leur talent pour finalement livrer au public un produit fade et sans âme. Christopher Nolan s’est-il fait happer par la machinerie hollywoodienne au point de faire honte à ses œuvres précédentes ? Que nenni !

En même temps, il faut dire que la Warner lui a offert un scénario taillé sur mesure, à savoir un thriller qui se préoccupe autant de l’enquête principale que des personnages en jeu. D’autant plus que le protagoniste de Will Dormer rappelle les héros nolaniens vus dans Following et Memento : une personne hantée par quelque chose (ici, par son passé et son crime), plongée au cœur d’une machination (le chantage fomenté par le tueur) et qui se retrouve livrée à lui-même (ne voulant ne rien révéler à ses collègues) tout en étant manipulée par l’antagoniste (le tueur se servant de la situation pour se sortir d’affaire). Une trame taillée sur mesure pour le cinéaste, qui se retrouve avec un concept scénaristique pour le moins original, le héros atteint d’insomnie, servant à complexifier l’ensemble et à donner plus d’enjeux à l’ensemble. Et si vous vous rappelez des films précédents de Nolan, où ce dernier avait réussi à transformer de simples enquêtes en scripts terriblement labyrinthiques, Insomnia version américaine s’annonçait comme la nouvelle œuvre majeure du cinéaste.

Petit problème au tableau : contrairement à Following et Memento, Christopher Nolan n’est pas le scénariste d’Insomnia, et cela se ressent grandement. Le cinéaste s’amusait jusqu’ici à distordre la chronologie de ses histoires pour se jouer du spectateur, pour le surprendre pleinement avec un climax qui lui faisait voir le film d’un autre œil. Sur Insomnia, n’ayant pas vraiment de liberté sur le projet, il se contente donc de mettre en scène une enquête plutôt classique qui suit un schéma scénaristique bien tracé : le policier enquêtant sur un meurtre, rencontre avec le tueur, machination et ultime face-à-face. Le spectateur ne peut donc que se laisser emporter par une histoire sans grande surprise et qui n’exploite pas le concept de l’insomnie comme il se doit, cette dernière ne semblant pas prendre une place importante dans les enjeux du long-métrage. Néanmoins, il faut reconnaître qu’Insomnia peut se vanter d’avoir des personnages bien écrits et de proposer des dialogues qui sonnent juste pour que le film soit suffisamment palpitant à suivre.

Mais bien que Nolan n’ait pas pu améliorer le scénario, il a cependant su l’exploiter grâce à sa mise en scène. Il est vrai que le cinéaste a tenté un montage marchant sur les pas de Following et de Memento via quelques plans d’insert en guise de flashbacks, mais ces derniers sont trop peu présents et bien trop rapides pour qu’ils titillent suffisamment la curiosité du spectateur. Non, là où Nolan a voulu se concentrer pour qu’Insomnia ait fière allure, c’est par ses nombreux plans : panoramiques pour les paysages de l’Alaska (le côté spectaculaire) ou rapprochés quand le personnage de Will Dormer rentre en scène (le côté intimiste). À défaut d’impressionner avec le scénario, le cinéaste le fait soit en mettant plein la vue au spectateur soit en lui permettant de s’identifier au héros, et cela lui permet de capter l’attention de son public avec une très grande efficacité. D’autant plus qu’il s’amuse à user de jeux de lumière saisissant et de décors travaillés (plus sombres qu’à l’ordinaire) pour rendre les rayons du soleil aussi douloureux et déstabilisants afin de mettre en scène les rares moments d’insomnie du héros.

Bien qu’il soit inférieur aux œuvres précédentes du réalisateur, Insomnia marque tout de même un tournant dans la filmographie de Christopher Nolan, étant donné qu’il se retrouve à la tête d’un projet dans lequel il doit diriger des acteurs de plus grande renommée. Ici, Nolan s’offre deux monstres hollywoodiens que sont Al Pacino et Robin Williams. Un casting bien plus prestigieux qu’il arrive à mener brillamment : Pacino se révèle être grandement impliqué dans la peau de son personnage tandis que Williams se délecte d’un rôle à contre-emploi (le tueur). Un face-à-face inattendu et diablement électrique sublimé par la mise en scène de Nolan et qui peut se montrer comme la seule raison pour que le spectateur s’attarde bien plus longuement sur cet Insomnia que sur un autre thriller.

Première « fausse note » de Christopher Nolan qui signe donc ici un polar classique qui ne surprendra pas autant que Following et Memento. Mais même avec la situation d’un réalisateur devant faire ses preuves dans l’univers hollywoodien, Nolan est arrivé à livrer un thriller bien plus efficace que la moyenne du genre, proclamant haut et fort qu’il est un cinéaste au savoir-faire inépuisable. Si la Warner ne le lui a pas offert énormément de libertés sur Insomnia, elle lui a néanmoins permis de se faire connaître auprès d’un plus large public. Et vu la qualité de ce film, ce dernier ne peut que le remarquer !

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