Ivresse
Ivresse

Court-métrage de Moé Gachet (2018)

Il frappe encore, il frappe plus fort

Après tant d'attente, il est de retour. Mais qui ? Je parle bien sûr de l'unique, de l'incroyable, du prodige Moé Gachet. Lui et sa caméra reviennent pour un second film, accompagnés cette fois-ci d'une toute nouvelle équipe technique et sans doute beaucoup plus de budget. Alors comment s'en sort l'extravagant Moui Gajot ? Eh bien le résultat est toujours aussi surprenant mais pourtant bien trop avant gardiste. Désolé Cagette, tu as certainement vu trop loin pour Ivresse !


Faisons tout d'abord une analyse linéaire de l'oeuvre. Nous sommes dans un futur certain, dans un monde divisé en plusieurs districts. Fantastique entrée en matière, de courts plans désertiques rappellent à la fois les plus grands westerns mais aussi les plus puissants films sur cet espoir incertain, et finalement sur la fuite de l'Homme, de son échappée virevoltante vers un futur presque tangible agrémenté d'un savoir-vivre inexistant. Telle est la force de Rogé Pirouette, nous faire ressentir cet état d'abandon total en quelques secondes. MAGIQUE.


Bim bam boum, patate cinématographique dans la bouche, présentation des personnages principaux. Le protagoniste est (merveilleusement, comme à son habitude) interprété par Romain Soleymieux. De ce grand homme de cinéma, je me dois de faire une parenthèse. C'est un homme-orchestre du cinéma, à la fois réalisateur (La Rencontre Matinale, esquisse du manque d’empathie de l'être humain envers ce qui lui est étranger, accompagné par les vocalises flutesques mémorables d'Evann Tranchier), scénariste ( "Cinq ans tu te rends compte" - Songes, 2018), compositeur (certaines de ses compositions de batterie sont dans le film Ha!), et donc, bien sûr et évidemment, acteur. Son jeu dans Ivresse est en toute légèreté, toujours juste, toujours précis, une merveille qu'est cet homme, je l'aime.
Les séquences dans le squat étrange et glauque rappellent certaines soirées arrosées qui commencent juste et qui ne se terminent jamais en de bonnes consolations. Pour rendre un environnement d'aspect oppressant et affirmer la complexité du personnage, Fugi Maquette utilise un grand angle qui pourrait rappeler le travail dérangeant et contemplatif de Jean-Pierre Jeunet et son comparse Marc Caro (l'influence est là, elle est évidente, elle est fabuleuse). Mais je pense que la plus grande inspiration de Gilles Grandé fut le film Vidocq de Pitof. Ne te cache pas Gillou, je sais ce que tu aimes !


Ayant reçu un pass embrassé pour aller dans une autre soirée le lendemain, Romy Soso se dirige vers une grande maison au portail automatisé qui ferait frémir moultes d'entre nous. C'est la porte des enfers, car dans la cave, le pire arrivera. Gromin descend et il boit, boit, boit, boit. Cette séquence de beurrage rappelant le chef-d'oeuvre Les Tontons Flingueurs, il faut rappeler l'incroyable travail de montage et de mise en scène de Prové Marquais. Tac tac tac tout s'enchaîne par des jumps cuts d'une fluidité spectrale et glou glou fait le Duc Rainmo De Soleylemeilleur.
Tout bascule alors. Oh ! Un traquenard ! Ainsi le fantastique Pascal Rodémi a été drogué ! Stupeur et transcendance ! Tout tourne autour de notre héros, la soirée Rectumienne s'arrête et tous les convives paraissent lui vouloir du mal. Le spectateur est terrifié, le jeu d'acteur fait peur au monteur et la caméra s'emballe. Chaos, ici Chaos, le réalisateur Rémi Parqué dépasse toutes les attentes par une course poursuite endiablée.


Vous vous souvenez du portail de l'enfer ? Il est la métaphore du génie de Charles Cramé : en s’enfuyant, Mainmain LesMieu pouvait très facilement passer au dessus du portail et s'enfuir, et donc fin du film, le personnage s'échappe et il gagne. Mais non. Malgré la facilité, il décide de se battre et de certainement mourir. Quelle fulgurance d'écriture scénaristique ! Les convives de la soirée partent à la recherche de Marlène, et le retrouvent. Seulement, Marlène a trouvé d'autres personnes pour se battre.
Et là ATTENTION, fin très ambiguë : on ne sait pas qui sont les gens armés jusqu'aux dents, d'apparence bien plus âgée. L'un des personnages le dit mais Popesco décidera de lâcher énormément de vent sur sa perche pour faire saturer le son. Et oui, Popesco doesn't care. Ainsi, le spectateur est oppressé et perdu, tout comme le personnage de Raymond Forgongnieux (donc génie d'écriture !)


Le dernier plan est un chef-d'oeuvre à part entière. Plan drone, il ne dure qu'à peine 2 secondes, ce qui fait que le spectateur est incapable de comprendre ce qu'il se passe. Une erreur de montage ? Un oubli ? Une fin de tournage compliquée ? Point du tout : flou artistique. Tout est voulu et calculé avec une précision chevaleresque, rappelons que nous sommes tout de même dans un film de Jeannot Cridanse ! Ce plan, si beau mais si court, est ici pour que le public revoie le film encore et encore et encore et encore. Eprouvette aime la redondance; il aime qu'on l'aime. Il est fort, il est doux.


Oeuvre incandescente et relais de toute une génération de cinéastes en devenir, Francisco Perez s'inspire de tous pour inspirer les prochains. Car oui, deux courts-métrages suffisent pour faire d'un Homme un des grands penseurs du cinéma actuel. Et pas que penseur, Franco est aussi actif !


Seule déception : le contexte de film en 48h fait qu'Ivresse n'a pas pu être nommé à Cannes cette année. Quel dommage ! Quel bonheur ç'aurait été de revoir et de redécouvrir une telle oeuvre au palais du festival, et de demander un autographe à Rodrigo Merguez sur la croisette.
Ce n'est pas grave, pourquoi pas la prochaine fois !

OizoBrown
9
Écrit par

Créée

le 6 déc. 2018

Critique lue 349 fois

5 j'aime

3 commentaires

OizoBrown

Écrit par

Critique lue 349 fois

5
3

Du même critique

Ivresse
OizoBrown
9

Il frappe encore, il frappe plus fort

Après tant d'attente, il est de retour. Mais qui ? Je parle bien sûr de l'unique, de l'incroyable, du prodige Moé Gachet. Lui et sa caméra reviennent pour un second film, accompagnés cette fois-ci...

le 6 déc. 2018

5 j'aime

3

Trapped
OizoBrown
10

Bientôt Cannes

Trapped Franchement, si je peux dire qu'une œuvre a changé ma vie, Trapped est le film ultime. Tout dans ce film est parfait. Tout commence dans un silence, tel le calme avant la tempête, tempête...

le 22 mai 2017

5 j'aime

2

Le Temps des Rancœurs
OizoBrown
10

"Tu m'as trouvé Touko"

L'objectivité n'a plus sa place ici bas quand Pédro sort sa caméra. Du moins, pas chez moi. Le grand réalisateur est à nouveau de retour, non pas pour nous jouer un mauvais tour, mais bien pour...

le 2 mai 2019

3 j'aime