Ça faisait longtemps que j'avais entendu parler de la démarche de Charlotte Gainsbourg de faire un film sur sa mère, j'avais très hâte de le voir. Je n'ai pas été déçue.


Déjà il faut bien dire, pour situer mon point de vue, que j'aime beaucoup Jane Birkin. J'ai lu ses journaux intimes à leur sortie en 2018, j'aime l'écouter en interview. Elle me touche énormément, sans que je sache exactement pourquoi. J'aime sa sincérité extrême, son mélange de force et de vulnérabilité assumée, sa profonde gentillesse. Je n'aime pas entendre qu'on la traite d'idiote (en général par sexisme et parce qu'elle est gentille), un peu comme si on insultait ma mamie. Bref. J'aime aussi beaucoup ses filles, et en particulier Charlotte, pour laquelle j'ai une grande admiration, à tel point que je lui pardonne ce que j'appelle son côté boomeuse (elle continue de défendre Lemon Incest à ma connaissance).


Ce film est à leur image : d'une sincérité extrême. Charlotte a réussi la gageure de créer quelque chose d'à la fois très intime et très pudique. Sur la forme, elle alterne entre les morceaux très amateurs, en caméra embarquée, pendant lesquels on se sent plongés dans le quotidien, et les moments plus travaillés, plus esthétiques, magnifiés par la musique. Cette alternance peut surprendre au tout début mais on s'y fait très vite et j'ai trouvé cela très réussi.


Jane et Charlotte parlent sans jamais faire discours. Elles sont juste sincères, quitte parfois à ne pas trouver les mots. Maintenant que je le dis, c'est ce qui me marque le plus chez elles en fait : elles ne font jamais discours. Et c'est quand même assez rare, déjà dans la vie, mais encore plus derrière les caméra. Elles sont ok avec le fait de ne pas savoir, de chercher les mots, d'être vulnérables.


Elles abordent ensemble beaucoup de sujets sensibles :
- le fait de vieillir, l'identité, le souvenir : Jane dit souvent "c'est comme une autre vie" en parlant de son passé, de sa jeunesse.
- le temps qui passe ou s'arrête en fonction des événements : après la mort de Serge, après la mort de Kate. Le moment où elles retournent rue de Verneuil est vraiment très fort. Je savais que Charlotte n'avait touché à rien (y compris les conserves dans la cuisine, les cigarettes dans le cendrier), mais je ne savais pas que Jane n'y était pas allée depuis 30 ans.
- Les relations mère-fille : la discussion entre Jane-mère et Charlotte-fille devenant ici une discussion entre deux mères. Le parallélisme avec Jo, la fille de Charotte est très intéressant.
- La solitude. J'avais déjà entendu Jane en parler en interview, ça m'avait beaucoup touchée.


L'amour traverse tout le film, de manière pudique mais très présente. De manière générale, on ne cherche jamais à nous tirer une larme ou à nous émouvoir volontairement. La toute fin du film, quand on écoute la voix off de Charlotte alors qu'on regarde Jane sur la plage, est aussi très bien réalisée : jamais clichée alors que ça aurait franchement pu l'être.


J'ai lu des critiques qui disaient que c'était juste voyeur et pas intéressant de regarder deux bourgeoises se regarder le nombril. Dans le film, Charlotte se demande si ouvrir rue de Verneuil en musée, c'est voyeur : Jane répond qu'elle ne voit pas le problème et que c'est ok d'être voyeur. Personnellement, je me dis qu'on reproche plus aux femmes de parler d'elles, alors qu'on trouve normal qu'un mec publie ses mémoires et ses réflexions, même quand c'est de la merde. En plus, elles ont eu une vie publique de fait, alors c'est sûrement un tout autre référentiel que pour quelqu'un d'anonyme : je ne sais pas si on peut parler de réappropriation, mais il est possible qu'il se joue quelque chose comme ça.


En tout cas, moi j'ai beaucoup aimé, ça m'a apporté quelque chose et je les remercie de ce partage.

Prince-Mychkine
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le 13 janv. 2022

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Prince-Mychkine

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