Taïwan, port de Kaohsiung (deuxième métropole du pays), Li Wu-hsiung (Chen Wen-pin), petite quarantaine, survit avec sa fille Mei (Yo Hsuan Chao) dans une sorte de hangar désaffecté avec vue imprenable sur le bassin portuaire. On ne sait pas depuis combien de temps ils vivent là, peut-être depuis que la mère de la fillette (7 ans) est partie. Ils s’en sortent parce qu’il effectue quelques menues tâches rémunérées chichement pour des connaissances, en particulier un ami propriétaire d’un bateau. Le père y effectue des réparations sous-marines en faisant de la plongée avec un matériel si usagé qu’il en devient dangereux. Fascinée par cette activité, la petite se penche pour l'observer sous l’eau et annonce à l’occasion qu’elle voudrait apprendre à nager pour pouvoir le suivre. Bien entendu, elle parle et observe ainsi parce que Wu-hsiung représente sa seule attache solide en ce monde. Cette attache est particulièrement bien filmée. La tendresse entre le père et la fille illumine réellement l’écran. Ces deux-là vivent avec trois fois rien (dont le produit de le pêche, notamment des crabes, que le père apprend à sa fille à récupérer dans des nasses), à l’image des moyens qu’on imagine pour réaliser ce film. Il faut croire que le talent et l’inspiration jouent au moins autant que les moyens matériels pour faire passer quelque chose à l’écran. Ici c’est du domaine du non palpable. Le réalisateur prend son temps pour montrer le quotidien du duo père/fille, entre pêche, réparations et courses sur un scooter pour chercher des pièces en ville. Très révélateur pour illustrer la parfaite harmonie/complicité qui unit le père et la fille, la courte scène où on les voit dormir. La petite se tient contre son père dans une posture d’abandon et de confiance (sécurité même). Un simple coup d’œil permet de se dire qu’il n’y a pas besoin d’en savoir davantage sur leur intimité (hygiène corporelle, habillage et déshabillage, cuisine, etc.) pour comprendre que c’est un lien de tendresse parfaitement sain qui unit le père et sa fille. On remarque juste que la fillette est somme toute assez laconique, qu’elle ne se laisse que rarement aller à des gestes décontractés, de familiarité, même avec son père. Cela s’explique très naturellement par cette existence faite de survie au quotidien, la crainte sourde qu’il arrive quelque chose à son père et le relatif isolement dans lequel ils vivent. Il faut dire que Mei ne se souvient plus de sa mère (dont le père n’a plus de nouvelles, au point de se trouver incapable de la joindre en cas de besoin).


Mei est en âge d’aller à l’école. Elle ne se rend pas vraiment compte de l’importance que cela pourrait avoir pour elle, mais elle acquiesce lorsque son père lui dit qu’il faudra qu’elle soit sérieuse et studieuse pour apprendre plein de choses pour s’en sortir correctement dans la vie.


Des policiers sont venus constater (à quelle occasion ?) les conditions dans lesquelles Li Wu-hsiung élève sa fille. Ils n’en reviennent pas que personne ne les ai jamais dérangés d’une façon ou d’une autre. Les vrais ennuis ne viendront pas de ce côté, mais des services sociaux. En effet, avec la mère de la fillette Li Wu-hsiung n’a jamais rien officialisé, ni mariage ni déclaration de naissance.


C’est lorsque Li Wu-hsiung entame les démarches pour inscrire sa fille à l’école qu’il apprend que la mère de la fillette était déjà mariée. Dès lors, l’administration lui refuse tout droit sur Wei. Donc, non seulement on ne pourra pas l’inscrire à l’école, mais on ne trouvera aucune autre solution que de séparer le père et la fille. Celle-ci ira en famille d’accueil !


Une bonne partie du film (2009 - 1h28) montre Li Wu-hsiung dans ses démarches auprès de l’administration en vue d’inscrire sa fille à l’école. Partie poignante mais moins originale que le reste du film, car ici comme dans bien d’autres endroits, l’homme est renvoyé de service en service. Il se heurte à des discours où la bonne volonté côtoie quelques jolis sourires, mais concrètement personne ne peut rien pour lui. Révolté, il finit par craquer, ce qui n’est pas une surprise car le tout début nous l’avait montré dans une situation dramatique extrême. Un traitement hollywoodien (façon 14 heures de Henry Hathaway) de la situation n’intéresse pas Leon Dai (le réalisateur). Il règle le tout en quelques plans très efficaces montrant comment la bêtise humaine exploite ce genre de malheur, sachant que le public se délecte de ce genre de drame en spectateurs inconscients.


Un film méconnu qui a obtenu suffisamment de récompenses dans son pays pour arriver jusqu’à nous (DVD avec sous-titres français). Réalisé dans un beau noir et blanc, il captive et émeut. La relation père/fille est des plus réussies, jusqu’à un final deux ans plus tard, très pudique, qui montre que le lien reste aussi fort, envers et contre tout. On peut se faire la réflexion, en reprenant le titre français Je ne peux pas vivre sans toi que la phrase peut aussi bien provenir du père que de sa fille.

Electron
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le 31 janv. 2019

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