Quand je vais voir un film d'un réalisateur que je sais médiocre ou inconstant, j'ai ce réflexe de suspension de blasitude que tout cinéphile civilisé se doit d'avoir. J'y vais ouvert d'esprit, en me disant que cette fois ce sera peut-être un grand film, je demande qu'à aimer.


Kurosawa c'est ce mécanisme à l'envers : j'y vais prêt à en découdre, je demande qu'à détester ce que je vais voir. Je rêve de lui bazarder à la tronche une critique de dix-huit paragraphes lui expliquant à quel point rien ne va dans son film. Je ne regrette rien de ma jeunesse commençait comme le candidat parfait. J'étais tout content dans mon canapé devant cette première partie excessivement narrative, elliptique et laborieuse. Ça y est ! Je vais défoncer Kurosawa ! Le film était planant, détaché de moi et détaché de lui-même, je comprenais pas trop où ça voulait en venir et malgré quelques jolis plans ça commençait doucement à me faire chier. Je tenais ma critique négative ! Gonbeto-san, prépare-toi à chiâler !


Mais non, voilà que mon plaisir m'est arraché des doigts.


À partir du moment où Setsuko Hara tombe entre les mains et le cure-dent accusateur de Takashi Shimura, le film prend acte, prend vie, prend corps. J'ai redressé mon cul dans le canapé, je me suis réveillé. Cette « seconde partie » m'a tiré de ma torpeur dès les premières secondes, gamin moqueur surpris par le cracheur de feu qui tout à coup s'y met.


Asseyez-vous, madame. C'est de la mise en scène, ça, madame. C'est frontal – en même temps allez faire du hors-champ dans une rizière –, mais cette matière... cette pluie, ce vent, cette terre, ce froid, ce chaud, cette fièvre, ces voisins, cette douleur...


Le propos vaguement gaucho qui patauge, peu importe. Akira n'a rien à me prouver à ce niveau, je sais qu'en 1946 c'était pas encore évident de faire dans l'acerbe. Patience, on vient à peine de canoniser Noge-san, les idées vont faire leur chemin.


Bien sûr, c'était quand même inégal, en définitive. Je peux pas complètement fermer les yeux sur cette introduction longue et bizarrement rythmée, dont la construction peine à tracer un chemin dans le film. Mais une fois qu'on y est, sur le chemin, on y est.


Comme Yukie j'ai été arrosé de vie, de réalité, de mal de dos. En résonnance avec Le plus dignement, Je ne regrette rien de ma jeunesse insuffle le feu au labeur, à la force infinie de la femme, à la condition terrienne. Aujourd'hui je sais repiquer du riz et jouer du piano en playback, merci Kurosawa.

Scolopendre
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le 9 juin 2022

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