Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, devisait La Fontaine. Ou pas. La force de ce documentaire consacré à Joan Didion est de nous montrer que, finalement, la vie est plus ou moins pareille pour tout le monde ; on naît, on vit comme on peut, on meurt. Enoncer les choses de cette manière peut vous sembler terriblement mélancolique ; c’est à dessein car c’est la tonalité générale de ce film tourné par un très proche de Joan Didion, au crépuscule des jours de l’écrivaine.


Certains apprécieront l’hagiographie (touchante) du personnage. Pour ma part, j’ai été particulièrement intéressé par la lecture historique des États-Unis, depuis la fin des années 60 jusqu’à nos jours. Cette lecture est intéressante car, délibérément biaisée, on peut y voir les US (mais aussi l’Occident) à travers les yeux d’une intellectuelle démocrate enchantée qui va vivre la folie des sixties, d’abord douces et ensuite insanes, et enfin 5 décennies de glissement vers un monde qui change profondément de repères, obnubilé par le gain, le consumérisme et la puissance ; ce que d’aucun nommeront une certaine idiocracie.


Du début jusqu’à la fin, le réalisateur met en scène l’intelligence impuissante des intellectuel.le.s américain.e.s de l’upper class - et parfois leur inconséquence peut-être coupable (*) - face à la déliquescence du monde qui les entoure ; certaines images d’archives sont à cet égard sibyllines, comme des extraits d’interventions virulentes de Donald Trump jeune ou l’ascension des Cheney et consorts.


Et pourtant, finalement, le réalisateur parvient à nous proposer un récit sensible entre ces lignes historiques, l’histoire d’une chroniqueuse mais avant tout d’une femme comme toutes les autres, extraordinaire certes, mais à quoi bon vu que ça ne lui épargnera pas les affres de tout être humain.
Le film ne se termine sur aucune note d’espoir, sans pour autant finir sur trop d’amertume. Il a l’humilité de nous poser presque gentiment face à nos responsabilités, nous montrer qu’il y a encore des choix à faire, y compris d’avoir le courage et l’intelligence (de coeur) d’au moins oser les regarder en face.


PS : on complètera le visionnage de ce documentaire avec un autre qui me semble lui faire particulièrement écho, "Blondie's New York...& The Making Of Parallel Lines", un reportage sur le groupe Blondie qui a pour ambition de filmer NY à travers l'histoire d'un groupe punk rock et plus spécifiquement à travers la création d'un de ses albums les plus réussis.


(*) je m'intérroge sur ce "coupable" qui me semble un peu trop généraliste et virulent. Certes cette upper class intellectuelle "profite" d'un certain train de vie, mais si on prend le cas de J. Didion, il semble qu'elle n'aie jamais hurlé avec les loups et que jusqu'à la fin de sa vie elle se soit rangée du côté des faibles, exposant bon nombre d'iniquités.

Tanguy_Pay
7
Écrit par

Créée

le 7 janv. 2022

Critique lue 97 fois

1 j'aime

Tanguy Pay

Écrit par

Critique lue 97 fois

1

Du même critique

Unorthodox
Tanguy_Pay
7

Presqu’orthodoxe

Ce n’est pas spoiler que de dire que cette mini-série est composée de deux parties. La première se passe à New-York et la seconde à Berlin. Mon emballement positif vient de la première qui est...

le 26 avr. 2020

8 j'aime

Whiplash
Tanguy_Pay
8

Un vrai coup de cymbale

Quel est le prix à payer pour devenir Da Vinci, Mozart ou Picasso? On ne naît pas Artiste, on le devient, on le décide, envers et, peut-être surtout, contre tout. Whiplash est un film lumineux qui...

le 16 févr. 2015

7 j'aime

Soy Cuba
Tanguy_Pay
8

La poétique de l'engagement

Lorsque j'eus vu Soy Cuba, je me suis soudainement posé la question : depuis quand n'ai-je pas lu de poème? Car il s'agit ici bien de cela : une ode, un poème, un chant lyrique en images. Bien...

le 23 sept. 2016

4 j'aime