Au-delà des tendances maniérées de la narration qui, par son psychologisme las et ses émois exagérés, singe maladroitement le registre mélodramatique, parsemant l’arrière-plan dévitalisé de ce giallo surprenant, se présente une ardente inventivité qui infuse magnifiquement la tension angoissée des délires collectifs de l’Italie post-fascisme. C’est d’abord au sein du protagoniste que prend forme le constat sociologique dressé; instable, délaissé, évoluant à coups de soubresauts obsessionnels, Andrea est la parfaite allégorisation du désenchantement de la nation italienne, plus précisément, de son désordre. Car si l’architecture et les compositions formelles renvoient une image orthonormée du paysage urbain, la sépulcrale intrigue dément rapidement ce que les artifices de la caméra s’évertuent à susciter. Journée noire pour un bélier présente un mirage en processus de déconstruction, la facticité derrière laquelle sont dissimulées les turpitudes sociales : les relations désarticulées, les passions meurtrières, la débauche mondaine. Un monde voyeuriste, perverti et corrompu qu’écrase une structure géométrisée adroitement mise en image par Vittorio Storaro, qui dévoile de somptueuses expérimentations photographiques exploitant l’abstraction des formes.
Quand les bâtisses ne camouflent pas leur archaïque vétusté – des bâtiments en ruine qu’on découvre peu à peu, des endroits malfamés, des prolongements souterrains insalubres de maisons modernes –, elles se muent en symboles de l’emprisonnement sociétal : elles sont lignes verticales et horizontales multipliées qui contribuent à la stratification, à la segmentation et à la fragmentation de l’espace. La photographie réfère ainsi aux codes visuels carcéraux et étrique, grâce à l’abondance de barreaux qui sont tour à tour tangibles et vaporeux – selon qu’ils sont éléments physiques ou ombres projetées –, ses personnages dans leur malaise intériorisé. L’étrange colorimétrie parachève le climat de froide terreur qui se voit alimenté par la persistance du doute et le repli individualiste généralisé; les tons de bleu déréalisent le décor visuel et le maniement fascinant de la pénombre enfante de tableaux surréalistes, les perspectives se déformant au profit des élans démesurés produits par l’expression intérieure de l’humanité. De ces intrications narratives sibyllines autour desquelles a été brodée une bande originale usant superbement des dissonances mélodiques, Journée noire pour un bélier instaure une atmosphère glaçante et, durant les derniers instants qui brillent de leur maestria rythmique, dépeint l’effondrement imminent d’un pays déchiré par sa crainte de l’altérité. Toutes les obturations visuelles qui composaient d’inextricables visions d’un univers en perdition s’abandonnent alors tout à fait au propos qui renverse les illusions que s’est confectionnées opiniâtrement un peuple désorienté. Les inflexibles manies des êtres humains ne suffisent dès lors plus à enterrer la précarité de la situation sociopolitique. Et voilà comment la série B est en mesure d’offrir un saisissant reflet de la déstructuration sociale.