J'aime l'odeur de la déception cinématographique anticipée au petit matin. Je ne parle pas de la mienne bien entendu, mais de celle qui semble s'être emparée des spectateurs ayant du mal à accepter le fait que Kick-Ass 2 était une expérience de qualitay. Il me vaut donc de le défendre en bonne et due forme.

Kick-Ass 2 est un film en "cheval de Troie", ce qui signifie tout simplement ceci : de par sa forme il "entre" dans votre forteresse de goût critique, pour ensuite renverser son premier aspect par quelque chose de plus fin. En clair : sous le visage du film d'action cynique il se fait une place tranquille chez vous comme oeuvre de divertissement. Combats, esthétique, situations comiques, tous les codes y sont. Donc vous le laisser passer les barrières, vous calez votre cul dans le fauteuil et vous avalez goulûment son nectar.

Cependant la saveur de ce dernier ne tard pas à se faire amer. Kick-Ass 2 n'est pas un film d'action, ni une comédie cynique, ni un divertissement lambda. Le fond de Kick-Ass 2 est tout autre : montrer ces personnages qui sont tout le temps dans une ambivalence fondamentale, qui ont du mal à comprendre ce qui est réel ou pas dans la vie, et qui s'y perdent eux-mêmes en trouvant des solutions.

Dit autrement Kick-Ass propose une vision du monde particulière et réaliste : un monde dans lequel les adultes sont en général dans le déni et où les ados ont du mal à choisir ce qui constitue "la vraie vie". Ils vont d'une expérience à l'autre en les poussant à l'absurde, et une fois ce point atteint, retombent dans l'autre extrême. Je suis un héros/méchant --> en fait non je veux être normal --> en fait être normal est insupportable --> soyons héros c'était le vrai moi --> mais quand même éclater le crâne de ce type était un peu exagéré --> faudrait que je redevienne un simple ado --> etc.

Chaque personnage a cependant une motivation et une justification différente le poussant à être ou ne pas être (to be or not to be...) ce qu'il est. Certains cherchent à être vertueux (et suivent donc une éthique de la vertu les poussant à devenir de "bonnes personnes" dont le jugement est meilleur que celui du commun des mortels). Ceux là hésitent quand ils échouent, doutent de leur vraie personnalité.

D'autres cherchent à obéir à leurs principes et valeurs, parfois transmises par leurs parents, et suivent donc une éthique déontologique : en respectant leurs obligations de valeurs, ils sont dans un rôle positif. Ils hésitent quand on remet leur code de conduite en question, en leur indiquant qu'il est anormal.

D'autres enfin, gentils comme méchants, suivent une éthique plus conséquentialiste : ils font ce qu'ils pensent avoir les meilleures conséquences pratiques. Comme c'est souvent impossible à savoir, ils hésitent en permanence et, devant l'intensité d'une situation, fuient pour mieux revenir plus tard.

Ainsi, la violence visible à l'écran, arrosée de ses hectolitres de sang et ponctuées de son comique scato-gore renvoie-t-elle surtout à différentes facettes de la psychologie des personnages. Concernant majoritairement la génération ado et post-ado, (mais aussi une fraction du niveau adulte qui n'a pas adopté les normes en place), le discours du film porte davantage sur le vide total de repères identitaires pour les personnages, qui peinent à construire les leurs.

Le dénominateur commun n'est donc pas l'absence d'éthique, ni même la généralisation de la violence entre les personnages. C'est bien plutôt le fait qu'ils ne disposent pas de repères mettant un terme à leurs délires avant qu'ils ne soient poussés à l'absurde, rendant impossible le maintien d'une identité claire et cohérente.

Kick-Ass amplifie certains aspects de ce monde pour mettre en évidence leur impact sur les personnages qui - en fait - ont tous des réactions saines et normales compte tenu du contexte social dans lequel ils évoluent. Ainsi la violence et le plaisir sadique qu'ils y prennent (pour certains) ne sont-ils pas étalés sous nos yeux comme une glorification aveugle des bas instincts humains. Ils nous sont donnés sous forme comestible pour mieux nous faire voir leur origine : par quel chemin de pensée sommes nous passés pour y trouver une sensation de divertissement ? Et c'est là que comme les personnages eux-mêmes, qui ne glorifient pas leurs actions, nous sommes menés vers un raisonnement par l'absurde salutaire et plus profond qu'il n'y paraît.
IIILazarusIII
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le 26 août 2013

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IIILazarusIII

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